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Article publié dans la revue LAVE N°216

Les paroxysmes de « la Voragine » (Etna)
en juillet - août 2024

Santo SCALIA & Jean-Claude TANGUY

« La Voragine » (le gouffre) est le principal et le plus constant des cratères permanents au sommet de l’Etna (figure 1). Comme ses voisins le Cratère nord-Est (depuis 1911) ou la Bocca nuova (depuis 1968), ou encore le Cratère Sud-Est (depuis 1971), et au contraire des innombrables cônes sur les flancs qui n’ont eu qu’une existence temporaire,
ces cratères centraux sont toujours susceptibles de réveils.

        

Figure 1.  Carte de la coulée et des dépôts à la suite du paroxysme du 23 juillet 2024. CSE : Cratère Sud-Est ; CNE : Cratere nord-Est ; BN : Bocca nuova ; VOR : Voragine.
Source : INGV-Osservatorio Etneo.

        

        C’était le 3 avril 2021 que la Voragine avait éjecté sa dernière émission de cendres et, depuis, ne montrait aucun signe d’activité. Mais dans la nuit du 13 au 14 juin 2024 commençait une faible activité de spattering construisant un très petit cône de scories soudées, puis l’émission d’une coulée de lave émise par une fissure du flanc Sud-Est de ce cône, coulée qui commença à combler la dépression voisine de la Bocca Nuova. L’après-midi du 4 juillet un communiqué de l’INGV-Osservatorio Etneo annonçait : « ... l’activité du cratère Voragine a évolué en fontaines de lave et produit une colonne éruptive atteignant l’altitude de 4 500 m et s’étalant vers le Sud-Est. On signale une retombée de cendres sur les centres habités de cette région jusqu’à Catane ».

        Encore une fois, les centres habités densément peuplés du secteur méridional furent recouverts d’une couche noire de fins pyroclastes (localement « rina ») occasionnant une gêne considérable à la circulation aérienne et routière, ainsi qu’aux cultures et même à la respiration (figures 2 et 3). Cette activité paroxysmique, commencée le 4 juillet vers 16h15 UTC (18h15 heure locale), se termina vers 1h50 le 5 juillet bien qu’une phase strombolienne décroissante se poursuivit jusqu’à l’aube du même jour (figure 4).

        

2.  Retombées de cendres, le 4 juillet 2024, vers 21 h (heure locale) au centre de Catane
Photo © Dominique Decobecq.

3.  Au matin du 5 juillet 2024, les retombées de cendres de la Voragine ont recouvert toute la ville de Catane
Photo © Dominique Decobecq.

Figure 4.  tremor volcanique enregistré à la station Etna Cratere del Piano ECPN, en correspondance avec le premier paroxysme du 4 juillet
Source : INGV.

        

        Après un bref repos durant à peine une journée, l’activité explosive de la Voragine reprend dans l’après-midi du 6, et le jour suivant, le 7 juillet vers 22h UTC, l’INGV enregistre de nouveau « une augmentation graduelle de l’activité strombolienne dans le cratère Voragine ». Quelques heures plus tard cette activité « s’est ultérieurement intensifiée et maintenant se produit une fontaine de lave avec émission de cendres qui se dispersent en direction Est/Sud-Est, en accord avec le modèle prévisionnel » ( voir la photo de couverture de la revue 216 ).

        Cette fois ce sont les localités du secteur Sud-Est (Zafferana, Milo, etc.) qui se trouvent sous la chute de pyroclastes. La colonne éruptive monte à 9 km et s’épuise après 7 heures environ (figure 5). Ces deux forts paroxysmes ont profondément modifié la morphologie de la zone sommitale.

        

5.  L’aube du 7 juillet vue de Ragalna
Photo © Santo Scalia.

        

        Nouveau sursaut les 10 et 11 juillet quand une augmentation graduelle du tremor et de l’activité strombolienne font présager un nouveau paroxysme, mais celui-ci manque de se produire et l’Etna, cette fois, ne décroche pas le titre !

        Comme pour compliquer encore ce cadre éruptif complexe, voici que le Cratère Nord-Est, inactif depuis des années, donne des signes de réveil et produit des explosions sporadiques de cendres vite dispersées...

        Le soir du 15 juillet se produit le 3ème paroxysme : augmentation progressive du tremor et de l’activité strombolienne à la Voragine, jusqu’à atteindre bientôt une grande intensité (figure 6). Une coulée de lave franchit le bord occidental de l’ancien Cratère Central, interrompt la piste de montagne vers 3 000 m d’altitude et s’arrête un peu plus bas. Les deux bouches de la Bocca Nuova (BN1 et BN2) sont désormais recouvertes par les produits de la Voragine... Et nouvelles perturbations pour les centres habités du versant sud-oriental à cause des retombées de scories et de cendres. La colonne éruptive atteint 6 000 m de haut et l’activité paroxysmique, bientôt rétrogradée strombolienne, cesse dans les premières heures du 16 juillet.

        

Figure 6.  Le troisième paroxysme : image de la webcam thermique de Bronte, versant ouest (INGV-OE) : la tache claire, à droite, révèle la coulée de lave.

        

        Entre temps les émissions sporadiques de cendres continuent au Cratère Nord-Est pendant que l’activité strombolienne de la Voragine, encore une fois, évolue en fontaines de lave la nuit du 22 au 23 juillet (4ème paroxysme) : celles-ci montent à plusieurs centaines de mètres et la colonne éruptive atteint 8 km de haut avant de se disperser d’abord vers l’E-SE, puis le S-SE. La chute de matériaux fins est signalée au refuge Sapienza, à Piano Vetore, contrada Milia, Nicolosi, Tremestieri Etneo et Catane.

        

Figure 7.  tracé du tremor volcanique (station ECPN, INGV-OE) pour le mois de juillet 2024. Le troisième pic (12 juillet), n’ayant pas atteint l’intensité de 100 mV, n’est pas considéré comme un paroxysme. (Bollettino Settimanale Etna 30/07/2024, INGV-OE).

        

        Les jours suivants le nouveau cône entourant la Voragine émettait de superbes volutes de cendres noires et il semblait que le volcan avait retrouvé un certain équilibre quand, tout juste un mois après le premier paroxysme (figure 7), voici que recommence la croissance rapide de l’activité passant aux fontaines de lave du 5ème paroxysme tôt le matin du 4 août. La colonne éruptive monte dans un ciel pur à 10 km de haut et les habitants de la zone orientale ont une nouvelle fois à subir les dégâts dus aux pyroclastes : dans le village de Zafferana Etnea, à 11 km de la bouche éruptive, les vitres de plusieurs voitures ont été brisées par les chutes de grosses scories ! Au sommet une coulée de lave a débordé vers le NW et une coulée rhéomorphique, formée par l’accumulation de grosses projections liquides, a progressé entre le Cratère Nord-Est et la Voragine (figure 8).

        

Figure 8.  Carte thermique de la zone sommitale de l’Etna et ses coulées de lave après le 4 août 2024 (Bollettino Settimanale Etna 29/07/2024 – 04/08/2024, INGV-OE).

        

        Il s’écoule une dizaine de jours et de nouveau, en fin d’après-midi du 14 août, le tracé du tremor pique vers le haut en quelques heures et l’activité strombolienne de la Voragine évolue vers de violentes explosions.

        À partir de 22h30 UTC la colonne incandescente est continue passant à une vraie fontaine de lave (figure 9) (com. INGV-OE). Au-dessus de l’Etna, le panache éruptif atteint 9,5 km d’altitude, puis tout redevient normal après 1h le 15 août. Encore une fois, le versant méridional de l’Etna est recouvert jusqu’à Catane par les produits éruptifs et l’aéroport est fermé au trafic aérien. De nouvelles coulées de lave ont débordé de la Bocca Nuova vers l’Ouest et se refroidissent lentement : le sixième paroxysme de la série est terminé...

        Les centres habités des basses pentes et de la périphérie de l’Etna, en plus des inconvénients causés par les chutes de scories et de cendres (une route recouverte par celles-ci devient glissante comme sur le verglas), ont été alarmés par les détonations dues aux violentes décompressions de bulles de gaz à une vitesse supersonique (« shock waves »). Un autre effet de ces paroxysmes a été une augmentation de l’altitude de l’Etna avec la croissance rapide du nouveau cône autour de la Voragine. Un relevé par drones a donné 3403 m au-dessus du niveau de la mer (Bull. INGV du 15-09), un nouveau record en comparaison des 3357 m du Cratère Sud-Est qui détenait jusqu’ici le record..

        

9.  Les fontaines et coulées de lave vues de Bronte, dans la nuit du 14 août
Photo © Marisa Liotta.

        

Remerciements à Boris Behncke et l’INGVOsservatorio Etneo
pour la documentation volcanologique,
ainsi qu’à Giorgio Costa et Marisa Liotta pour leurs excellentes photos.

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