Le retour des ronds de l’Etna !

Dominique DECOBECQ

[ Les ronds de fumée qui sortent de l’etna sont connus depuis fort longtemps et pippo Scarpinati nous en a proposé une explication dans la revue LAVE n° 60 (avril 1996). Depuis une vingtaine d’années ce phénomène était devenu rare sur l’Etna et devenait un mythe. L’activité souvent paroxysmale du cratère Sud-Est ne permettait plus cette manifestation si particulière. Cependant, depuis le mois de juillet 2023, quand la météorologie est calme et le vent faible, l’émission de ces anneaux de vapeur et de gaz est réapparue au sommet de l’Etna. ]

1.  Anneau de fumée au-dessus du cratère Central de l’Etna, le 27 août 2023
photo © Arlette Lorenzi

Exclusivité de l’Etna ?

        Le phénomène des anneaux de fumée n’est pas une spécificité de l’Etna. Ils ont été observés au sommet de plusieurs volcans en corrélation à un fort dégazage et ils sont le plus souvent de couleur blanche. Des photos ou des vidéos nous montrent ainsi des ronds au Stromboli ( 2002 et mars 2020 ), lors de l’éruption de l’Eyjafjallajökull (2010, Islande), au Yasur (vanautu), au Pacaya (en 2005). Ce fut aussi le cas, en décembre 2015, du Momotombo (Nicaragua), qui a aussi émis ses ronds de fumées (anillos de humo), à découvrir sur You Tube (film de Norvin Torrez) : https://www.youtube.com/watch?v=sNIKDrUO29Y

.  à découvrir sur You Tube (film de Norvin Torrez)

2.  Anneau de fumée virevoltant au-dessus du cratère Central de l’Etna, le 27 août 2023
photo © Dominique Decobecq.

Les premières observations

        Les premières descriptions d’anneaux de fumée d’origine volcanique ont été réalisées au Vésuve. Dans son livre Storia del Monte Vesuvio (1734), le prêtre de Torre del Greco, Ignazio Sorrentino, mentionne l’apparition d’un anneau au-dessus du cratère du vésuve. Il relate son observation du lundi 11 septembre 1724 : « Le vésuve continuait à tonner et à 21 heures, j’ai vu, depuis violo, s’élevant du sommet du Mont, un anneau de fumée noire qui montait à plus de deux mille marches dans les airs [env. 1400 m]. Il restait perpendiculaire au-dessus de la fournaise, et était semblable aux cerceaux de nos tonneaux. Il s’étendit de haut en bas et cela dura plus d’un demi-quart d’heure. De quelle bouche s’est évaporée cette fumée, je ne peux le dire, mais cet anneau noir ne devait sortir ni de la bouche Sud, qui émettait une fumée blanche, ni de celle du Nord ou de l’Est ; où ces lieux étaient sans feu ni fumée. bien qu’on puisse supposer que si le feu, c’est-à-dire la matière se préparait à brûler, montant de l’embouchure vers le Nord ou de l’autre vers l’Est, une telle fumée serait exhalée. Quelle que soit la raison, je n’ai remarqué que ce cercle de fumée, signe d’une grande signification. »

        Dans le même ouvrage, il mentionne brièvement des observations d’anneaux au cours de l’été 1725 et le 14 juin 1733 (p. 215) où il compare l’anneau du volcan à celui qui peut se produire lors d’une canonnade.

        Trente ans plus tard, Giovanni Maria Della Torre, clerc régulier de Somasca et professeur de physique à Naples, décrit des ronds de fumées, dans son ouvrage Storia e fenomeni del Vesuvio. D’après des observations faites le 15 décembre 1754 : «Quand je continuais mon voyage j’ai remarqué, un peu à côté de la fumée qui arrive du haut du vésuve, certains de ces cercles que Sorrentino avait déjà observé pour la première fois en 1730. Leur forme est représentée dans la planche II. À la vue, ils semblaient s’élever deux fois plus haut que la montagne. Ils étaient d’une couleur très blanche et ils étaient d’une matière si dense et si persistante qu’il y avait celui qui est resté en l’air pendant plus d’un quart d’heure, et un autre qui est resté plus de trois heures. Ils ont disparu très lentement à mesure que la matière qui les forme se raréfie et se dilue. Nous avons vu plus de cercles le même jour et les jours suivants.»

        C’est la première représentation de ces ronds de fumée (photo 3).

3.  Des anneaux au-dessus du cratère du Vésuve dans « une vue du Vésuve depuis la troisième paroisse de Boscotrecase connue sous le nom de La nunziatella ». Planche II, gravure de Giuseppe Aloja, dans l’ouvrage de Della Torre (1755) : Storia e Fenomeni del Vesuvio.

4.  Détail de la photo 3 avec les quatre anneaux successifs observés au-dessus du Vésuve par Della Torre (1755) : Storia e Fenomeni del Vesuvio.

Premières photographies

        La première photographie d’un anneau de fumée aurait été prise sur l’Etna. Elle daterait de 1910 à la suite de l’éruption sur son flanc Sud (publication de G. Platania et photographie du volcanologue américain Franck Alvord Perret). Ce dernier en 1912, publiera la même photo, plus une autre photo d’anneau de fumée. Ces derniers sont détaillés : ils ont été vus le 30 mars 1910 à 6 du matin et sont sortis du cratère n° 7 de la fissure éruptive de 1910.

5.  Premières photographies d’un anneau de fumée provenant de l’Etna (30 mars 1910)
photo © Franck Perret

5 bis.  Premières photographies d’un anneau de fumée provenant de l’Etna (30 mars 1910)
photo © Franck Perret

De nouveaux ronds de fumée sur l’Etna

        L’émission d’anneaux de fumée de l’Etna était récurrente dans les années 1970 avec la formation de la bocca Nuova, puis elle s’est produite selon certaines observations à plusieurs reprises en 2000, en 2013, 2014, puis en février 2017 et en décembre 2018.

        Ces anneaux (des maladroits les appellent les «donuts de l’Etna ») sont réapparus au cours du mois de juillet 2023. Ils montent lentement dans le ciel au-dessus des cratères centraux et perdurent quelques minutes avant de se dissiper dans l’atmosphère. Ils peuvent atteindre environ 200 m de diamètre.

        Le phénomène coïncide avec l’ouverture d’un trou dans le plancher, du côté Sud, de la Bocca Nuova. Cette bouche a été révélée, le 20 juillet, lors d’un vol de surveillance par l’INGV.

        La bocca Nuova est apparue en 1968. Au début, il ne s’agissait que d’un effondrement, large d’une dizaine de mètres, situé sur le flanc externe à l’Ouest du cratère Central. Longtemps, le fond de la bocca Nuova fut un trou d’où jaillissait des gaz magmatiques avec parfois des explosions projetant des bombes volcaniques.

        Au fil des années, la Bocca Nuova s’est progressivement élargie pour faire partie avec le cratère de la Voragine du cratère Central. La Bocca Nuova a aujourd’hui un diamètre d’environ 500 m dont le fond est rempli de lave formant une surface assez plate et régulière. Mais la stabilité n’existe pas sur l’Etna et depuis quelques mois des petites bouches (20 ou 30 m de diamètre) s’ouvrent dans ce plancher et libèrent des gaz volcaniques dans l’atmosphère.

Fonctionnement

        Plus prosaïquement, les physiciens nomment ces ronds de fumées : des vortex toroïdaux ou anneaux tourbillonnaires. On ne compte plus les physiciens qui mettent au point des machines pour réaliser des anneaux tourbillonnaires dans l’air ou dans un fluide plus ou moins visqueux.

.  Une expérience s’amuse ainsi à produire différents vortex : https://youtu.be/yjgACB7urOo?si

        Ces vortex se forment à la suite d’explosions de vapeur et de gaz volcaniques provenant d’une bouche circulaire. La pulsion des gaz à la suite de l’explosion fait qu’ils se frottent aux parois de la bouche d’expulsion.

        Au centre, l’anneau se déplace à une vitesse plus élevée par rapport au vortex, ce qui provoque une rotation du vortex toroïde, il devient un anneau tourbillon. Puis comme un fumeur de havane qui s’amuse à lâcher des ronds de fumée, l’anneau (qui a une énergie de déplacement) s’éloigne, son diamètre augmente, il plane et monte dans le ciel pour au bout de quelques minutes se dissoudre.

        Ainsi, le diamètre du début de l’observation de l’anneau correspond au diamètre de la bouche d’expulsion. La bouche est similaire à une buse. Selon des simulations réalisées par des physiciens, pour que l’anneau perdure pendant plusieurs minutes il est nécessaire qu’il y ait une rotation d’air dans le vortex.

        Ces anneaux témoignent de l’émission de gaz depuis une bouche qui canalise ce flux qui sort par intermittence et traduit des pulsions de gaz, assez fortes, à la suite d’explosion du magma en profondeur.