Espace Adhérent
Français
Anglais
  THEMATIQUES
/ Peintures

Thématique ... Peintures

Article publié dans la revue LAVE N°214

Représentation de la Solfatare au cours des siècles

Dominique DECOBECQ

[ À la Renaissance, la zone volcanique d’Europe la plus connue, en dehors de l’Etna et de l’Hekla en islande, était les Champs Phlégréens et plus particulièrement la Solfatare. En effet, dans cette region l’activité éruptive du Vésuve la plus récente remontait à 1139 avec une amnésie des habitants pour cet événement. En revanche, les Champs Phlégréens avec l’éruption du Monte Nuovo en 1538 et la Solfatare étaient des lieux de curiosité naturelle de la Campanie et les cartes de l’époque signalent ces sites exceptionnels.
La Solfatare apparaît aussi importante que le Monte Nuovo, car si c’est un lieu où se déroule le spectacle de la nature, c’est aussi une zone d’extraction du soufre. Cet intérêt pour la Solfatare s’atténuera avec le renouveau de l’activité du Vésuve, le 15 décembre 1631. ]

        

        

1.  

1.   bis

        1 et 1 bis. La première carte connue de la baie de Naples (après 1538) par l’éditeur Antonio Salamanca (1478 - 1562) et Antoine Lafréri (1512 - 1577). Sur cette carte le Vésuve est une simple montagne et le monte Nuovo est représenté en éruption. Gravure (43×29 cm) dans Geografia, Tavole moderne di geografia de la maggior parte del mondo di diversi autori raccolte e messe secondo l’ordine di Tolomeo con i disegni di molte città e fortezze di diverse provincie stampate in rame con studio e diligenza in Roma.

2.  

2.   bis

        2 et 2 bis. Vue de Pausilippe avec une flotte de galères et une cavalcade escortant l’infante Marie d’Autriche qui quitte Naples en 1630. En arrière-plan : la Solfatare (voir le détail). Gravure (10,8×40,6 cm) d’Alessandro Baratta, en 1632. British Museum.

        

La Solfatare, Forum vulcani, (1581)

3.  La Solfatare, Forum vulcani, (1581). Gravure tirée du volume III de l’atlas en 6 volumes « Civitates Orbis Terrarum » (Théâtre des cités du monde) de Georg Braun (1541 - 1622) et Franz Hogenberg (1535 - 1590). Son titre original : Mirabilium Sulphureorum Motium Apud Puteolos. Gravure sur cuivre, aquarellée (31×41,5 cm), graveur Joris (Georg) Hoefnagel.

Une exploitation du soufre

        Ce qui attire les curieux, les naturalistes, les savants de la Renaissance pour la Solfatare c’est son importante activité fumerolienne et l’exploitation de son soufre, qui se dépose naturellement. Dans l’atlas de Georg Braun et Franz Hosenberg ( photo 3 ), une planche est consacrée à la Solfatare et à son verso ( photo 4 ) on y trouve un texte descriptif (voir encadré). Cette gravure serait la plus ancienne connue (1581). Elle montre, en arrière-plan, des ouvriers (comme au Kawah ijen, en indonésie) qui drainent le soufre liquide. Près du petit lac, au fond du cratère, quatre hommes s’affairent et l’un d’entre eux immerge, avec une corde, une volaille et on imagine que c’est pour la déplumer dans le liquide bouillonnant. Au premier plan, à gauche, une « gente dame » et à droite, une autre dame, dans une litière à deux porteurs, découvre la Solfatare. Le travail et le « loisir » sont associés dans ce même lieu. au milieu des érudits échangent sur le phénomène de la Solfatare ? Ou sont-ce les propriétaires du lieu ?

        Le cartouche de droite correspond à la légende des lettres A, B et C positionnées sur cette gravure :

        A : se dissimule dans les contreforts du cratère et renvoie à la légende : « De ces montagnes de terre et de pierres est fabriqué le soufre ».

        B : indique un chemin en pente avec comme légende « De ce grand (endroit) blanc provient l’alun ».

        C : « L’eau ici est toujours noire, boueuse et si chaude que si on y met un oeuf, il ressort cuit ; l’eau bouillonne comme la mer et monte souvent jusqu’à une hauteur de 24 largeurs de main. »

        Ce qui retient, selon leurs écrits, l’attention des observateurs de l’époque c’est la cuisson des oeufs par les eaux de la Solfatare.

        Des figures allégoriques cernent cette gravure : une tête d'âne et une tête de Méduse qui frappent une enclume. Les textes en cartouche, encadrés par des fers à cheval, font références à la forge du dieu vulcain.

        La Solfatare intrigue et attire déjà ceux qui initient le « Grand tour » de l’italie. Des savants décrivent cette Solfatare, comme Michel Mercati (1541 - 1593), qui fut en charge du jardin botanique du vatican. Dans son ouvrage Metallotheca, il référencie les différents minerais et la manière de les extraire. il décrit la Solfatare ( photo 5, page ci-dessous ) car c’est un site « industriel » avec l’extraction du soufre si précieux pour confectionner la poudre noire (mélange de salpêtre, de charbon de bois et de soufre). une autre planche dans son livre décrit cette extraction.

        

4.  Verso de la photo 1 avec un texte en français présentant la Solfatare.

Le texte au verso de La Solfatare – Forum vulcani

        « Forum vulcani appelé de Leander SULPHARARIA, est un lieu en la Champaigne (la Campanie), au bout des ruines qui se voient de Pouzzoles au chemin de naples, ainsi nommé de la condition & nature du lieu : lequel Strabon appelle FORUM VULCANI, le disant être près de Pouzzoles, & que c’est une plaine de Campanie, close de tous côtés de collines ardentes de soufre, dont sortent à grand bruit fumées et exhalations, comme d’une fournaise. Pline dit, que les anciens ont appelé la dite Champaigne CAMPI PHLEGRAEI. Ce que Solinus confirme, disant

illic quos sulphure pingues
Phlegraei legere sinus, etc.

        Le naturel du lieu est du tout admirable. Premièrement il y a une grande place, assez en forme d’oeuf, ainsi plus longue : car elle a en longueur presque 1 500 pieds, & n’est large que de 1 000 pieds, environnée & enclose tellement de continuelles et hautes montagnes, comme si elles y fussent faites d’industrie, qu’on n’y peut entrer que du côté de Pouzzoles. La terre de la dite place n’est que soufre, y produit de nature. Par quoi elle craquette et résonne quand on y passe, pour être pleine de cavernes ; comme sont toutes choses creuses & caves quand on les frappe et touche. au bout il y a une fosse, large plutôt que d’autres formes, pleine d’eau noire & épaisse, perpétuellement bouillante & jetant hors à grandes forces fumées très épaisses ; ainsi se trouve par expérience, qu’on en tire hors incontinent cuit et bouilli tout ce qu’on y plonge & met dedans, mais toujours amoindrie de quelque portion & partie, comme m’a rapporté Hieronymus Linus Bononiensis, qui ayant mis quatre oeufs, affirma n’en avoir tiré que trois.

        L’eau n’est toujours en un lieu, ni toujours à la même hauteur, comme nous pouvons même témoigner. Car y passant pour la seconde fois dix ans après la première, la trouvâmes presque d’un tiers moindre que nous l’avions vu. Donc et cause l’épaisseur de l’eau : car comme elle amasse et endurcit le soufre aux bords, se diminue et change la dite eau.

        Près de la fosse se voient à tous côtés cavernes en terre, desquelles sortent vapeurs de soufre très chaudes. En cette dite place il y a plusieurs ouvroirs, auxquels on fait du soufre blanc. il est dangereux d’aller vers cette fosse à cheval, car tout y est plein de cavernes et de gouffres. Et racontent les voisins qu’il y eut un y allant à cheval, qui ne faisant compte de l’avertissement de ceux qui s’y connaissaient, fut avec son cheval abîmé en un instant, de sorte qu’on ne le vit plus. De ce soufre croissant, écrit en cette sorte Pline : «En italie, (dit-il) en la Champaigne de naples aux montelets nommés Leucogaei se trouve soufre, lequel tiré hors des mines se parfait au feu. Ces dites collines semblent brûler de tous côtés, et jeter hors, grandes fumées avec senteur de soufre, portée des vents par toute la dite contrée, et jusques à naples. Et combien que ladite odeur soit ennuyeuse, fâcheuse et laide, toutefois elle donne secours aux flux et cathares. L’eau de la fosse soufrière amollit les nerfs, rend la vue aigue, restreint les larmes et vomissements, conforte les douleurs de l’estomac, et rend fécondes les femmes stériles, chasse les fièvres froides, et purge les membres roigneux. Outre la colline au côté de l’Orient de cette place, est une vallée où se fait l’alun en cette sorte. On cuit en fournaise les pierres de la dite montagne, puis on les met par tas et monceaux, les arrosant par l’espace de quelques jours d’eau, tirée de certains puits, qui y sont, les trempant tellement, qu’elles se resoudent en cendres : des dites cendres se fait lexiue, laquelle on met en vaisseau de bois, où elle se congèle et solidifie aux bords à l’épaisseur d’une once comme cristal ou glace, d’où la faut tailler et séparer par instruments de fer.... »

        

5.  La Solfatare, par Michel Mercati (1541 - 1593). Gravure (41×28 cm) tirée de l’ouvrage posthume Metallotheca, édité en 1719, par Johannes Maria Salvioni.

        

        La Solfatare est aussi représentée par Johannes Stradanus ( photo 6 ) et par Gilles Sadeler ( photo 7 ). Cette dernière ressemble à la gravure de Georg Braun et Frans Hogenberg ( photo 3 ). En 1606, Gilles Sadeler, graveur et éditeur néerlandais, publie à Prague l’ouvrage Vestigi delle antichità di Roma, Tivoli, Pozzuoli et altri luoghi. L’ouvrage connaît un tel succès que Marco Sadeler (1570 - 1629), son petit-fils, en publia une autre édition en 1629. Les sept planches consacrées à la région de Pouzzoles se concentrent sur les monuments antiques. La seule exception est la vue sur la Solfatare, avec une perspective des visiteurs arrivant au bord du cratère volcanique. Les auteurs décrivent un lieu de visite, mais aussi un site d’extraction ( photo 8 ).

6.  Solfatare (1587) par Johannes Stradanus ou Jan van der Straet (1523 - 1605), publié par Philip Galle ; gravure (29,8×22,2 cm). L’artiste y présente toute l’activité humaine que génère la Solfatare : des ouvriers qui extraient le soufre, des visiteurs s’amènent en chaise à porteur.

7.  Solfatare (1606). Planche 48, dans l’ouvrage Vestigi delle antichità di Roma, Tivoli, Pozzuoli et altri luoghi de Gilles Sadeler. Gravure aquaforte colorée de Ferri Girolamo (15,3×26,2 cm).

8.  Solfatare (1688), par Matthaeus Merian (1593 -1650) et Martin Zeiller dans l’atlas Topographia italiae Francfort. Gravure aquarellée (28,8×17,3 cm).

        

Le martyre de saint Janvier

        Au fil des publications de cette époque, il n’est fait aucune mention au martyre de saint Janvier dans le cratère de la Solfatare. Cependant, au milieu du XVIIème siècle, deux peintres napolitains Carlo Coppola (1639 - 1672) et Scipione Compagno (1624 - 1680) imaginent la mort de saint Janvier dans la Solfatare. Carlo Coppola était spécialisé dans les batailles et les martyres de nombreux saints et il est attribué à Scipione Compagno au moins trois tableaux (musées d’art de nantes, de Besançon et de Périgueux) de la représentation en martyre, de Saint Janvier dans la Solfatare, avec la récupération du sang de saint Janvier dans une fiole ( photo 9 ).

        

9.  Le martyre de saint Janvier et de ses compagnons dans la vallée de la Solfatare. Oeuvre attribuée à Scipione Compagno (1624 - 1680). Musée d’art de Nantes, huile sur toile (57×87 cm).

La Solfatare par William Hamilton

        L’approche naturaliste de la Solfatare est repris par Sir William Hamilton, dans son ouvrage Campi Phlegræi, où il consacre plusieurs planches aux Champs Phlégréens dont deux sur la Solfatare ( photo 10 ). La description de William Hamilton dans les légendes des planches dévoile que si c’est un ambassadeur, il est aussi un peu espion, qui se renseigne sur cette source inépuisable de soufre (toujours utile pour les canons de l’amirauté britannique).

        

10.  Planche XXV de Campi Phlegræi de William Hamilton. Vue de la Solfatare, cratère de l’ancien volcan nommé par Strabon : Forum Vulcani.

        Il est d’une forme ovale, d’environ 1 500 pieds de longueur sur 1 000 pieds de largeur. La dernière éruption de ce volcan fut en 1198 sous le règne de Frédéric II. On aperçoit une couche de matières volcaniques sur les ruines du temple de Sérapis près de Pouzzoles (voyez planche XXVI), formée probablement par cette éruption. Les eaux de pluies paraissent avoir formé sous la plaine de la Solfatare un lac, que des restes du feu volcanique au-dessous de ce lac font bouillir continuellement, et la vapeur de cette eau sort sans cesse et avec violence en plusieurs endroits, comme l’eau que cause cette vapeur est la même qui forme la source chaude des Pisciarelli ( voyez l’explication de la planche XXI ).

        (1) Maison où l’on prépare l’alun en mêlant la terre de cette plaine avec l’eau des Pisciarelli, dans des chaudrons de plomb simplement échauffés par le feu volcanique de l’endroit où ils sont placés.

        (2) Seule entrée de la Solfatare par un chemin creux.

        (3) Endroits d’où sort la vapeur la plus forte et sur lesquels on place des tuiles pour recevoir le sel ammoniac qui s’y attache. C’est ici que l’on trouve du soufre pur et un mélange d’arsenic et de soufre cristallisé d’un beau rouge qu’on appelle du cinabre (voyez planche LIII). On vend annuellement dans cet endroit environ 273 quintaux de soufre, près de deux quintaux de sel ammoniac et 37 quintaux d’alun. Mais cet endroit curieux pourrait devenir beaucoup plus lucratif avec des soins et de l’industrie.

La Solfatare un sujet de veduta paysager

        C’est aussi un autre site de prédilection pour le chevalier volaire, ce peintre délaisse parfois le vésuve, pour quelques commandes sur la Solfatare ( page 18 de cette revue et photo 11 ). Si, on dénombre environ, au cours de ses 18 années à naples, une centaine de toiles sur le vésuve en éruption ( des nocturnes ), en revanche il n’y aurait pas plus de quatre toiles connues de volaire sur la Solfatare. Son concurrent Michael Wutky connu pour ses peintures sur le vésuve a aussi représenté la Solfatare, mais en innovant. Son oeuvre ( photo 12 ) est une vue sur la Solfatare réalisée depuis le flanc Ouest et avec un arrière-plan qui donne sur la baie de Pozzuoli. C’est Anton Sminck Pitloo peut-être le plus innovant en représentant, enfin, la zone fumerollienne avec l’une des bouches ( photo 13 ).

        

11.  Vue de la Solfatare (1770) par Pierre Jacques Volaire (1729 - 1799), huile sur toile (77,5×111 cm). Swedish National Arts Council. réf : NM 7581.

12.  La Solfatare (1782) par Michael Wutky (1739 - 1823). En arrière–plan, à droite, le Monte Nuovo. Huile sur toile (45×55 cm), Palais du Belvédère, Vienne. Réf : 5583.

13.  Dans la Solfatare (La Bocca Grande ?) par Anton Sminck Pitloo (1791 - 1837). Huile sur toile (26×32,5 cm). Marché de l'art.

        

Références

– Émilie Beck-Saiello (2004) : Le chevalier Volaire. un peintre français à Naples au XVIIIème siècle. Centre Jean Bérard (institut français de naples). 248 p.
- Dominique Decobecq (2019) : Le peintre du Vésuve. Le chevalier Pierre-Jacques Antoine Volaire, LAVE 196.
- Michel Morisseau (2015) : L’éruption du Monte Nuovo, en 1538, près de Naples. Revue LAVE n° 172.
- Michel Morisseau (2021) : Campi Phlegraei, mémoire 14 de L’association volcanologique Européenne.
- Daniel Prytz (2021) : Pierre Jacques volaire’s View of Solfatara dans art Bulletin of nationalmuseum Stockholm, volume 28:1.
- Giuseppe Scarpinati : Le «miracle » de San Gennaro et le Vésuve, LAVE 134.

____________________

Articles sur le thème des Champs Phlégréens
____________________



Recevez
chaque trimestre
la revue LAVE


À la Renaissance, la zone volcanique d’Europe la plus connue, en dehors de l’Etna et de l’Hekla en islande, était les Champs Phlégréens et plus particulièrement la Solfatare. En effet, dans cette region l’activité éruptive du Vésuve la plus récente remontait à 1139 avec une amnésie des habitants pour cet événement ...

De l'Antiquité jusqu'à l'éruption du Monte Nuovo survenue en 1538 dans la région des Champs Phlégréens près de Naples (Italie), les descriptions de volcans et de leur activité ne sont que très fragmentaires. Bien que d'un intérêt scientifique limité, les deux lettres que Pline le Jeune avait écrites à son ami Tacite après l'éruption...

La région napolitaine est surtout célèbre en raison du Vésuve, dont la double cime domine le Sud-est du golfe, et par le souvenir des villes anéanties Pompéi et Herculanum. Mais le Vésuve est rentré dans une longue période de repos depuis 1944, et l’attention se porte aujourd’hui sur la région située à l’Ouest de naples ...

Naples est connu pour sa pizza et son volcan : le Vésuve.
Le Vésuve, qui domine la ville de ses 1281 m, est le principal danger pour les quatre millions de Napolitains et chacun se met à imaginer une Pompéi moderne. Naples est entourée par trois zones volcaniques : au Sud-Est, le Vésuve dont la dernière activité...