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Article publié dans la revue LAVE N°172

L’éruption du Monte Nuovo, en 1538, près de Naples

Michel MORISSEAU

[ De l'Antiquité jusqu'à l'éruption du Monte Nuovo survenue en 1538 dans la région des Champs Phlégréens près de Naples (Italie), les descriptions de volcans et de leur activité ne sont que très fragmentaires. Bien que d'un intérêt scientifique limité, les deux lettres que Pline le Jeune avait écrites à son ami Tacite après l'éruption du Vésuve de l'An 79 se sont révélées être les premiers documents décrivant avec une certaine précision une activité volcanique. Quelques documents du Moyen-âge nous sont également parvenus mais c'est du début du XVI ème siècle que les premières descriptions précises nous parviennent. ]

        

1.   Porzio (Simone) – [1538].

        

        Il faudra donc attendre 1538 et qu'une éruption volcanique prenne place dans la région des Champs Phlégréens, non loin de Naples, pour que l'on commence à observer plus sérieusement les phénomènes volcaniques. La région napolitaine est alors sous domination espagnole.

        Selon les écrits de l'époque, tout commença vers 1511 lorsque des séismes ébranlèrent la région des Champs Phlégréens située au Nord-Ouest de Naples. Ces séismes persistèrent en 1534 et surtout en 1536 et 1537, infligeant des dégâts importants à la ville de Pouzzoles.

        Le 29 septembre 1538, après une activité sismique importante, naquit un nouveau volcan que l'on nomma de façon originale le Monte Nuovo. Les événements, qui ne durèrent que quelques jours, nous sont racontés par les quelques témoins oculaires qui prirent soin d'observer l'éruption (voir la bibliographie).

Samedi 28 septembre

        à la mi-journée, en raison d'un gonflement, la mer se retire en laissant derrière elle de très nombreux poissons gisant sur le sable.

Dimanche 29 septembre

        des mouvements du sol sont observés, de nouvelles sources jaillissent et des eaux sulfurées ruissellent. En soirée, une ouverture se forme dans un vallon au Sud-Est du lac Averne et des jets de gaz volcaniques, de pierres ponces et de cendres boueuses apparaissent, marquant le début de l'éruption.

Lundi 30 septembre

        l'éruption est déjà à son paroxysme, les habitations des villages alentour se couvrent de cendres et les habitants fuient vers Naples. Les bains de Cicéron et le village de Tripergole sont détruits. Les témoins décrivent des fumées très noires et d'autres très blanches sortant violemment de la bouche éruptive.

Mardi 1er octobre

        l'activité paroxysmale continue et le Monte Nuovo s'accroît. Afin de conjurer le mauvais sort, une procession des reliques de saint Janvier, protecteur de Naples, est organisée à Pouzzoles, lieu de sa décapitation.

Mercredi 2 octobre

        l'activité volcanique diminue sensiblement, ce qui permet de distinguer plus nettement le nouveau volcan. Da Toledo, vice-roi espagnol de Naples, monte jusqu'aux abords du cratère qu'il décrit comme un grand chaudron rempli d'eau posée sur des flammes.

Jeudi 3 octobre

        l'activité volcanique reprend et une phase éruptive violente apparaît au cours de l'après-midi avec projections de gros blocs.

Vendredi 4 octobre

        l'activité volcanique diminue sensiblement et Marchesino, témoin oculaire et auteur d'une description détaillée de l'éruption, en profite pour monter jusqu'aux bords du cratère qu'il décrit de manière relativement précise.

Samedi 5 octobre

        l'activité volcanique est faible et un peu de «fumée» se dégage du volcan.

Dimanche 6 octobre

        profitant de la faible activité du volcan, des promeneurs montent sur le Monte Nuovo et, en fin de journée, une très violente explosion tue 24 personnes, premières victimes du tourisme volcanique. Cette explosion marque la fin de l'éruption du Monte Nuovo. Une activité fumerollienne persistera encore quelque temps.

        

        La lecture des textes que nous ont laissés ces témoins oculaires ne laissent que peu de doute sur le type d'éruption qui a donné naissance au Monte Nuovo. Les gonflements des terrains à l'origine du retrait de la mer du samedi 28 septembre sont caractéristiques de mouvements bradysismiques bien connus dans la région de Pouzzoles, notamment au temple de Sérapis. Ces mouvements sont généralement induits par une injection de magma dans la partie la plus superficielle de la croûte terrestre.

2.  Elévation du sol de Sérapis, au-dessus du niveau de la mer (ligne en pointillé) au cours de ces derniers 2000 ans. Les soulèvements majeurs se sont produits avant l'éruption du Monte Nuovo (1538) et durant les crises de bradyséisme de 1970 - 1972 et 1982 - 1984. Modifié d'après Parascandola (1947).

        La présence de feu, de fumées noires et de fumées blanches éjectées avec violence dès le début de l’éruption témoigne du caractère hydromagmatique de celle-ci, le « feu » indiquant la présence de magma, les fumées noires étant liées à la fragmentation du magma et des roches encaissantes, et les fumées blanches étant liées à la grande quantité de vapeur d’eau produite par le contact eau-magma.

        Le bouillonnement et la présence de « flammes » observés le 2 octobre dans le cratère pourrait être l’indication d’un changement d’activité hydromagmatique vers une activité strombolienne. Enfin, le regain d’activité violente du 3 octobre et surtout du 6 octobre semble témoigner d’une surchauffe de nappes aquifères qui serait à l’origine des explosions.

        L’éruption ne dura que quelques jours mais fut suffisamment puissante pour créer un nouveau cône volcanique d’origine mixte hydromagmatique (tuff-ring de déferlantes) et probablement strombolienne. Elle prit fin le 6 octobre 1538 avec seulement deux jours d’activité paroxysmale.

        Aujourd'hui, le lac Lucrino n’occupe plus qu’une petite partie de ce qu’il était auparavant, largement remplacé par la colline du Monte Nuovo et son cratère. La hauteur du cône est d’environ 140 m et le diamètre du cratère d’environ 300 m. La base du cône a un diamètre de l’ordre de 1200 m. Les produits de l’éruption appartiennent à des trachytes phonolitiques, comme l’ensemble des laves des Champs Phlégréens.

        L’apport scientifique des observations faites par les quelques témoins oculaires de l’éruption est significatif car ces observations sont précises et constituent les premiers récits décrivant la succession d’événements volcaniques. Les deux gravures que nous ont léguées ces auteurs, bien que très naïves mais tout à fait dans l’air du temps, semblent être les toutes premières imprimées décrivant une éruption volcanique. Il faudra attendre la première édition de Cosmographia universalis de Sebastian Münster, en 1554, pour observer des gravures représentant des volcans, le Vésuve et l’Etna.

3.  Anonyme [Marchesino (Francesco)] – 1538. Dans cette vignette de titre, l’éruption volcanique est représentée par des pierres tombant du ciel, le graveur n’ayant probablement aucune idée de ce qu’est une éruption volcanique, l’ouvrage étant imprimé à Lyon. Les rayons descendant des nuages figurent l'aspect divin du phénomène.

        Contrairement à la grande éruption du Vésuve qui surviendra presque un siècle plus tard en décembre 1631, l’éruption du Monte Nuovo n’a suscité qu’un intérêt limité parmi les notables de la région napolitaine. Il est vrai que l’éruption du Monte Nuovo, bien qu’ayant eu lieu à proximité de Naples, centre urbain majeur de l’époque, était une petite éruption par rapport à l’éruption du Vésuve de 1631.

        La société napolitaine n’était probablement pas préparée à un tel événement et seuls quelques téméraires se sont risqués à l’observer. C’est la raison pour laquelle on peut affirmer aujourd’hui que la naissance de la volcanologie, science événementielle par excellence, peut être attribuée aux événements tragiques liés à la grande éruption du Vésuve de 1631. Cette dernière aurait causé la mort de plus de 4000 personnes et plus de 150 publications décrivant ces événements ont été imprimées dans les quelques années qui suivirent l’éruption. La volcanologie serait donc née le 16 décembre 1631, début de la grande éruption du Vésuve. Mais ceci est une autre histoire...

Bibliographie

Sept articles imprimés de témoins oculaires de l'éruption du Monte Nuovo ont été recensés:
– G. BORGIA, Incendium ad Avernum lacum horribile pridie cal. octob. M.D.XXXVIII. nocte intempesta exortum. Napoli, 1538. Opuscule de 30 p. Récit poétique de l'éruption. Traduction en Français in B. Gruet, 2013, pp. 43-55.
– M. A. DELLI FALCONI, Dell' incendio di pozzuolo, Marco Antonio delli Falconi all' illustrissima signora, Marchesa della Padula nel M.D.XXXVIII. Cum Gratia et Privilegio. Si venne per Marco Antonio Passaro Alliferri Vecchi, 1538. Opuscule de 44 p., 1 gravure. Texte le plus développé sur l'éruption. Traduction en Français in B. Gruet, 2013, pp. 57-147.
– F. MARCHESINO, Copia di una lettera di Napoli che contienne li stupendi e grand prodigii apparsi sopra a Pozzolo. Napoli, 1538. Opuscule de 8 p., 1 gravure (différente de celle de Delli Falconi). Traduit et publié en Français la même année: voir Anonyme, 1538. Traduction en Français in B. Gruet, 2013, pp. 163-173.
– Anonyme [F. MARCHESINO], Copie d'une Lettre venue de Naples contenant les terribles & merveilleux seignes & prodiges advenuz au lieu & Ville de Pozzol distant dudict Naples de sept mille. Imprimé à Lyon chez le Prince, 1538. Opuscule de 8 p., vignette de titre, sans la gravure de l'édition originale. Traduction intégrale en Français du texte de Marchesino de 1538.
– S. PORZIO, De conflagratione Agri Puteolani, Simonis portii. [s.l.n.d., Napoli, 1538]. Opuscule de 8 p., 1 gravure (identique à celle de Delli Falconi). Traduction en Français in B. Gruet, 2013, pp. 23-41.
– P. G. DA TOLEDO, Ragionamento del terremoto, del Nuovo Monte, del aprimento di terra in Pozuolo, nel anno 1538. E dela significatione d'essi. Per Giouani Sultzhab, Napoli, 1539. Opuscule de 30 p., 1 gravure (identique à celle de Delli Falconi). Traduction en Français in B. Gruet, 2013, pp. 175-227.
– S. PORZIO, De conflagratione agri puteolani, Simonis Portii neapolitani epistola. Florentiae, M D LI [1551]. Opuscule de 8 p. Seconde édition, corrigée sur l'édition originale de 1538.
À ce jour, seuls deux manuscrits de témoins oculaires décrivant l'éruption ont été identifiés:
– F. DEL NERO. Manuscrit décrivant l'éruption du Monte Nuovo. Traduit partiellement en Allemand par M. Neumayr – 1883, puis en Italien par A. Parscandola – 1946. Traduction en Français in B. Gruet, 2013, pp. 149-161.
– G. A. NIGRONE. Manuscrit décrivant l’éruption du Monte Nuovo, identifié en 1992 par R. Di Bonito. Traduction en Français in B. Gruet, 2013, pp. 229-235.
Certains de ces textes avaient été traduits plus ou moins partiellement en Anglais et en Français par Sir William hamiton – 1776, puis repris en Anglais par J. Logan Lobley – 1889, et en Italien par G. Amenduni – 1878 puis par A. Parascandola – 1946.
Autres textes importants concernant l’éruption du Monte Nuovo :
– L. GIUSTINIANI, I tre rarissimi opuscoli di Simone Porzio, di Girolamo Borgia e di Marcantonio delli Falconi. Scritti in occasione della celebre eruzione avvenuta in Pozzuoli nell’ anno 1538. Colle memorie storiche de’ suddetti autori. Dai Torchi di Luca Marotta, Napoli, 1817. 1 vol. in-8 : 3 feuillets non numérotés, pp. [1]-88, 105-128, 229-[284], 287-288, [285]-[286], 291-292, 289-290, 293-332, 217- 219 [avec de nombreuses erreurs dans la pagination]. Reproduction des textes de Porzio, Delli Falconi et Borgia.
– B. GRUET, éruption avec témoins. La naissance du Monte Nuovo, Italie, 1538. Collection Volcaniques. Presses Universitaires Blaise Pascal. Maison des Sciences de l’homme, Clermont-Ferrand, 2013. Présentation en langue originale et en Français des sept textes relatant l’éruption du Monte Nuovo par les témoins oculaires.
– A. PARASCANDOLA, Il Monte Nuovo ed il lago Lucrino. estratto dal « Bollettino della Società dei Naturalisti in Napoli », Volume LV, 1944-46. Stabilimento Tipografico G. Genovese, Napoli, 1946. 1 vol. in-8 : Titre, pp. [151]-312, 22 fig. in-texte, 17 planches hors texte.

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