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Article publié dans la revue LAVE N°213

Sur les traces de George Sand en Auvergne

Catherine DESCHATRETTE

[ Une aquarelle de George Sand intitulée « Paysage d’Auvergne » sortie des archives du Musée de George Sand et de la Vallée noire à La Châtre (Indre) le temps de l’exposition « George Sand, Ecolo ? » (avril-septembre 2023) est à l’origine de cet article.
Après quelques rappels sur l’écrivaine et artiste, le procédé de la dendrite utilisé par G. Sand pour réaliser cette aquarelle sera brièvement expliqué. Puis seront évoqués les voyages de George Sand en Auvergne, dans le contexte des connaissances sur le volcanisme de cette époque. Enfin, en découvrant comment George Sand a intégré ses observations de terrain dans un conte fantastique écrit l’année même où elle a peint l’aquarelle « Paysage d’Auvergne », vous comprendrez que cette dernière est vraisemblablement une interprétation d’un paysage iconique de cette région.]

        

1.   Paysage d’Auvergne. Dessin, aquarelle de George Sand de 1873.
Musée George Sand et de la Vallée noire, La Châtre. © Lancosme-Multimedia.

        

        Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil, baronne Dudevant par son mariage (1804 -1876), a adopté son nom de plume, George Sand, en 1829. De son enfance à Nohant, dans le Berry, auprès de sa grand-mère, elle gardera toute sa vie un attachement à la nature et une grande curiosité pour tout ce qui l’entoure. À Paris, ses rencontres avec des personnalités illustres du monde intellectuel renforcent son énergie vitale et accentuent sa soif de connaissances. Au cours de ses voyages ou chez elle, elle note et dessine ce qu’elle voit et ressent, accumulant ainsi le terreau duquel surgiront ses romans.

        L’été dernier, en visitant l’exposition temporaire « George Sand, écolo ? » [1] à La Châtre, dans le Berry, une aquarelle « Paysage d’Auvergne » signée George Sand et datée de 1873 a attiré mon attention, malgré son modeste format (23,4 X 15,6 cm). En admirant son premier plan de fleurs sauvages et les deux énormes rochers, j’ai instantanément pensé au site des roches Tuilière et Sanadoire que j’avais découvert lors de l’assemblée générale de L.A.V.E. de 1995, ce qui m’a donné l’envie d’en savoir plus sur cette aquarelle, qualifiée de « dendrite » (Figure 1).

        George Sand pratiquait la technique de la « dendrite » qu’elle appelait « aquarelle à l’écrasage ». Ce procédé, déjà utilisé à la fin du XVIIIème siècle, consiste à poser des taches de gouache sur un papier, puis à le recouvrir d’un autre papier sur lequel on appuie par endroits, pour faire diffuser la gouache sur le support [2]. George Sand a décrit le résultat ainsi obtenu : « Cet écrasement produit des nervures parfois curieuses. Mon imagination aidant, j’y vois des bois, des forêts ou des lacs, et j’accentue les formes vagues produites par le hasard » [1]. Les retouches au pinceau ou à la plume de ces nervures, appelées également dendrites en référence au monde minéral, n’avaient sans doute pas pour objectif de reproduire fidèlement un paysage.

        

2.   Assemblée générale L.A.V.E. de 1995 à La Bourboule
sortie du 4 juin sur le site des roches Sanadoire et tuilière, vues du nord.
Photo © C. Deschatrette.

        

        Alors peut-on se permettre de dire que l’aquarelle « Paysage d’Auvergne » représente les roches Tuilière et Sanadoire, comme je l’avais imaginé au premier coup d’oeil (Figure 2) ? Je suis retournée en octobre 2023 aux Archives du Musée de George Sand et de la Vallée Noire de La Châtre, dans l’espoir d’y trouver des documents sur d’éventuels séjours de George Sand en Auvergne. J’ai été invitée à revoir l’aquarelle-dendrite et aussi à consulter une revue des Amis de George Sand de 1990 entièrement dédiée aux trois voyages de George Sand dans cette région [3].

        J’ai découvert par la suite que nombreuses sont les traces laissées par George Sand à propos de ces trois voyages : des notes qu’elle conservait soigneusement et utilisait pour la rédaction d’articles dans des journaux et revues ; des lettres envoyées à sa famille et à ses relations ainsi que des pages dans son oeuvre « Histoire de ma vie ». Plusieurs historiens ont rassemblé ces documents. J’ai puisé la plupart des citations de George Sand de cet article dans la compilation récente « George Sand, Voyages en Auvergne » [4].

        

3.   Affiche pour la station thermale du Mont-Dore de théophile Poilpot, imprimeur Minot (1904).
Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France.

        

        Pour son premier voyage en Auvergne en 1827, George Sand, âgée de 23 ans, passe une quinzaine de jours au Mont-Dore (Figure 3) pour soigner une entorse. Elle y admire le luxueux nouvel établissement des bains (1823) et a « beaucoup couru aux environs », à pied, à cheval et pour les longues distances en voiture à cheval. Monsieur Garrick, gardien des bains et naturaliste, « un véritable savant en guenilles » selon George Sand, a montré à cette dernière « sa collection complète de toutes les matières volcaniques qui se trouvent dans la chaîne » et lui a dit : « le basalte a la propriété de se cuire facilement (...) il se tire de la roche Sanadoire où mon fils vous conduira quand vous voudrez ». George Sand ajoute dans son récit de voyage : « M. Garrick a quelques idées singulières sur l’origine et la formation des volcans mais il ne dit guère plus de bêtises que beaucoup de savants de ma connaissance », ce qui laisse penser qu’elle se considérait, pour l’époque, bien informée en la matière. Mais que savait-on du volcanisme en Auvergne au début du XIXème siècle ?

        

4.   Page de présentation de la communication de J.-E. Guettard
dans les Mémoires de l’Académie royale des Sciences de 1752.
La communication lue le 10 mai 1752 fait suite.
Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France : Archives de l’Académie des Sciences.

5.   Page n° 26 du carnet du deuxième voyage en Auvergne de George Sand, lundi 6 juin 1859 : « Matinée superbe. Nous partons à 10 h 1/2 en voiture de louage avec deux petits chevaux roux qui vont comme le vent au bord des précipices. Scierie, qui ne fonctionne pas pour le moment. Site agreste. Belle réserve d’eau limpide pleine de truites. Nous remontons à pied à la voiture. « roche Vendeix » admirable cône volcanique couronné de basaltes, jeté au fond d’une vallée en pente roide couverte de sapins et de gazons d’un vert superbe. Une autre scierie au flanc d’une montagne à gauche, la montagne dite Charbonnière. Il y a là comme un petit hameau, une chapelle (...) ». Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France, George Sand. Carnets de notes. XV Notes sur un voyage en Auvergne.

        

        En 1752, Jean-Etienne Guettard, savant naturaliste parisien, fait une communication à l’Académie royale des sciences [5], intitulée « Sur quelques montagnes d’Auvergne qui ont été des volcans » (Figure 4) dans laquelle on peut lire notamment : « Les montagnes qui ont, à ce que je crois, été autrefois des volcans, peut-être aussi terribles que ceux dont on parle maintenant, sont celles de Volvic, à deux lieues de Riom, du Puy de Domme [sic] proche Clermont & du Mont d’or [sic]. Le volcan de Volvic a formé par ses laves, qui ont dû être des matières fondues, semblables à celles du Vésuve, différens [sic] lits posés les uns sur les autres, qui composent ainsi des masses énormes, dans lesquelles on a pratiqué des carrières (...) ». Cette communication a sans doute suscité surprise et incrédulité chez ses collègues et aussi chez les Auvergnats qui depuis des siècles taillaient des pierres dont ils connaissaient bien les qualités particulières sans se poser la question de leur origine.

        L’existence de volcans éteints en Auvergne s’avérant vite irréfutable, ce fut ensuite la primeur de cette découverte par Guettard qui fut contestée et la polémique dura des années [6]. Avec l’entrée des volcans d’Auvergne dans la science, nombreux furent les géologues à se rendre sur le terrain, élaborant diverses hypothèses sur l’origine de ces volcans. Dans les années 1960, A.Rudel, dans son livre « Les volcans d’Auvergne » [7] écrivait au chapitre sur les querelles géologiques : « Le baron Ramond, préfet de département, physicien et géologue par surcroit, délaissant ses soucis administratifs s’intéresse à eux (1808) ». Il semble qu’en 1827 la toute jeune George Sand était bien au fait de ce qu’il se passait dans le monde de la géologie, puisqu’à propos de M. Garrick, évoqué ci-dessus, elle écrit le 13 août 1827 : « C’est M. Ramond qui lui a mis dans la tête d’étudier et qui lui a donné quelques livres ».

        

        Le 28 mai 1859, George Sand alors âgée de 54 ans entreprend un voyage touristique en Auvergne et en Velay qui durera 32 jours : « J’ai le pied à l’étrier pour un petit voyage en Auvergne »... Tout au long de ce voyage elle note observations et commentaires dans un carnet de voyage. Elle passe d’abord trois semaines dans la région des Dômes, du Mont-Dore et du Sancy déjà parcourue en 1827. Tout l’intéresse, les variations brusques du temps, la flore, la faune, les habitants et leurs coutumes, l’architecture... Elle décrit avec enthousiasme le monde minéral : à Gravenoire, « nous ramassons quantité de scories et de noyaux volcaniques », La Roche Vendeix, « admirable cône volcanique couronné de basaltes » (Figure 5). Puis le site du Puy-en-Velay exalte son imagination et de là elle va jusqu’aux Estables pour gravir le Mézenc, mais le mauvais temps l’en empêchera. Partout George Sand note la nature des roches rencontrées tout en décrivant les paysages. Elle écrit à sa fille Solange : « Ah ! Si j’avais le temps, quelle rage j’aurais pour la géologie et la minéralogie ! Mais il me faut faire des romans ! ».

        

6.   Portrait de George Sand. Huile sur toile d’Emilio Vieusseux de 1876,
d’après une photographie de Félix Nadar de 1864.
© Musée George Sand et de la Vallée noire, La Châtre. © F. Lauginie.

        

        Son dernier voyage à l’été 1873, George Sand, âgée de 69 ans (Figure 6), le fait en compagnie de son fils Maurice, de sa belle-fille Lina et de leur fille Aurore âgée de 8 ans. Le récit qu’elle en a fait pour la revue du Club alpin français de 1874 n’est constitué que d’impressions générales. C’est Aurore qui se rappellera en 1938 : « Mon père et ma mère, tantôt à pied, tantôt sur des ânes, George Sand et moi en chaise à porteurs, quel souvenir ! », ou encore : « Nous avons passé en voiture à la roche Sanadoire qu’elle admira ».

        

7.   roches tuilière et Sanadoire, vues du sud, 4 juin 1995.
Photo © C. Deschatrette.

        

        Assurément George Sand connaissait le site des roches Tuilière et Sanadoire (Figure 7) et elle l’a revu en 1873, année de l’aquarelle « Paysage d’Auvergne ». Mon enquête aurait pu s’arrêter là, mais j’ai ressenti soudain le besoin de lire un article de la revue des Amis de George Sand dédiée aux voyages de George Sand en Auvergne que j’avais négligé, malgré son titre énigmatique : « Epilogue au voyage : L’Orgue du Titan » [3]. Dans cet article Jean Courrier analyse la façon dont George Sand mêle les impressions de ses trois voyages auvergnats pour planter le décor d’un conte fantastique « L’Orgue du Titan ». Ce conte publié du 17 au 19 décembre 1873 dans le quotidien « Le Temps » [8] a été inséré en 1876 dans le second volume des « Contes d’une grand-mère » [9], oeuvre maintes fois rééditée. En le lisant j’ai découvert que le site des roches Tuilière et Sanadoire y occupe une place centrale, la seconde étant même rebaptisée « Sonatoire », avec « le plus beau jeu d'orgues de la création ».

        Ce conte est une belle synthèse des passions pour la nature, la musique et la création artistique que George Sand souhaitait partager avec ses petites-filles. L’action se déroule pendant un aller et retour entre Clermont et un village de montagne situé un peu au-delà des roches Tuilière et Sanadoire.

        A l’aller, arrivée sur le site des roches :

        « Le soleil sur son déclin enveloppait le paysage d'une splendeur extraordinaire et ce paysage était une des plus belles choses que j'ai vues de ma vie. Le chemin tournant, tout bordé d'un buisson épais d'épilobes roses, dominait un plan raviné au flanc duquel surgissaient deux puissantes roches de basalte d'aspect monumental, portant à leur cime des aspérités volcaniques qu'on eût pu prendre pour des ruines de forteresses.

        J'avais déjà vu les combinaisons prismatiques du basalte dans mes promenades autour de Clermont, mais jamais avec cette régularité et dans cette proportion. Ce que l'une de ces roches avait d'ailleurs de particulier, c'est que les prismes étaient contournés en spirale et semblaient être l'ouvrage à la fois grandiose et coquet d'une race d'hommes gigantesques.

        Ces deux roches paraissaient, d'où nous étions, fort voisines l'une de l'autre ; mais en réalité elles étaient séparées par un ravin à pic au fond duquel coulait une rivière » (...). « Cet endroit est un des plus extraordinaires et des plus effrayants que vous verrez jamais, il n’a pas de nom que je sache, mais les deux pointes que vous voyez là, c'est la roche Sanadoire et la roche Tuilière ».

        Sur le chemin du retour, trois jours après :

        « Je vis au-dessus de nous, à droite, la roche Sanadoire toute bleue au reflet de la lune, avec son jeu d'orgues contourné et sa couronne dentelée. Sa soeur jumelle, la roche Tuilière, était à gauche, de l'autre côté du ravin, l'abîme entre deux ».

        La lecture de ce conte m’a définitivement convaincue que George Sand après avoir ravivé son souvenir du site des roches Tuilière et Sanadoire à l’été 1873, a souhaité fixer ses impressions en peignant une aquarelle, tout comme elle s’en est inspiré pour imaginer l’Orgue du Titan, ceci la même année. C’est elle-même qui écrit en 1874 à Gustave Flaubert : « Je n’écris même que deux ou trois heures chaque jour, et le travail intérieur se fait pendant que je barbouille des aquarelles » [1].

        C’était il y a 150 ans... Aujourd’hui l’origine et la composition de ces deux roches volcaniques, situées à quelques kilomètres au nord de la ville du Mont-Dore, ne sont plus des énigmes. Ce sont des aiguilles de lave trachy-phonolitique du massif de l’Aiguillier (protrusions) qui ont résisté à l’érosion glacière. La Sanadoire vieille de 2,10 Ma est constituée de cinq necks coalescents et présente une prismation complexe, passant du quasi vertical au subhorizontal. La Tuilière, plus jeune (1,85 Ma) a une prismation plus régulière, bien verticale. Elle doit son nom au fait qu’elle a été longtemps exploitée, grâce à son débit en pile d’assiettes, pour recouvrir de lauzes (tuiles) les toits de la région [10, 11].

Références bibliographiques

[1] George Sand écolo ? 2023, Journal de poche du Musée George Sand et de la Vallée noire n° 4, museegeorgesand.fr
[2] Légende de la dendrite « Paysage avec ruines » de George Sand, https://museevieromantique.paris.fr/fr/les-collections/arts-graphiques/paysage-avec-ruines
[3] George Sand en Auvergne, février 1990, in Présence de George Sand n° 36, https://www.amisdegeorgesand.info/presence
[4] George Sand, Voyages en Auvergne 1827, 1859, 1873 ; 2008, Editions Paleo, La collection de sable, 182 p.
[5] Jean-Etienne Guettard, 1752, Sur quelques montagnes de France qui ont été des volcans in Mémoires de l’Académie royale des sciences, Présentation p. 1-8 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k35505/f8.item.r=guettard ; Texte lu le 10 mai 1752 p. 27-59 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k35505/f209.item.r=Guettard (les 2 planches « NP » étant après la p. 60).
[6] François Ellenberger, 1978, Précisions nouvelles sur la découverte du volcanisme en France : Nicolas Guettard, ses prédécesseurs, ses émules clermontois in travaux du Comité français d’histoire de la géologie, 1ère série (11), p. 9-14, https://hal.science/hal-00956732/document
[7] Aimé Rudel, 1963, Les volcans d’Auvergne, Éditions Volcans, 160 p.
[8] George Sand, L’orgue du titan ,in Le temps, 17, 18, 19 décembre 1873, gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France.
[9] George Sand, 1876, L’orgue du titan, in Contes d’une grand-mère, p. 143-181. gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France.
[10] Protusions phonolites des roches tuilière et Sanadoire, https://inpn.mnhn.fr/site/inpg/AUV0099/tab/descGeologique.
[11] Alain Guillon, 2021, La prismation des roches volcaniques, in LAVE, n° 203, p. 18-21.

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