Thématique ... Découverte
Article publié dans la revue LAVE N°215
Le mystérieux volcan de Biot – Villeneuve-Loubet
(Alpes-Maritimes)
André LAURENTI
Évolution géodynamique des Alpes et de la Méditerranée occidentale
Le département des Alpes-Maritimes est marqué à l’est par la chaîne des Alpes. Cet imposant relief toujours en formation, a été fracturé il y a 29 Ma par l’ouverture d’un domaine océanique appelé la Méditerranée occidentale.
L’actuel bloc Corse-Sardaigne était alors soudé au continent, il commença par se fracturer puis se sépara progressivement dans un mouvement de rotation antihoraire. Ainsi, il fallut 15 Ma pour que la Corse et la Sardaigne se stabilisent dans la position actuelle.
Au moment où le bloc corso-sarde débuta son mouvement en se séparant du continent, une subduction sous ce bloc corso-sarde donna naissance, il y a 30 Ma, à du volcanisme de surface sur le continent.
Et comme tout volcan issu d’une subduction, un volcanisme calco-alcalin se mit en place.
Dans les Alpes-Maritimes, des témoins de ce type de volcanisme apparaissent sur plusieurs sites, notamment à Cap d’Ail à la Pointe des Douaniers (bord de mer), sur la commune de Saint-Laurent-du-Var au quartier de la Baronne, au Cap d’Antibes, puis à l’intérieur des terres, à Saint-Antonin dans la vallée de l’Esteron, à Saint-Vallier sur les hauteurs du col du Pilon (altitude 792 m)... Sur ces différents lieux, aucun ne laisse apparaître de point d’émission, on parlera plutôt de témoins volcaniques sans la présence d’un volcan. Certains apparaissent sous la forme d’intrusions et ont pu voir le jour lors de la surrection alpine car ces formations suivent le bourrelet alpin jusqu’en Suisse. Mais les datations ne sont pas toujours connues.
Cependant, de tous ces sites, la formation la plus étendue est incontestablement celle de Biot – Villeneuve-Loubet. C’est ce témoin de référence qui fera l’objet de cet article.
1. Tout a commencé il y a 29 Ma par l’ouverture d’un domaine océanique appelé la Méditerranée occidentale associé à la dérive du bloc Corse-Sardaigne qui mettra 15 Ma pour se stabiliser dans la position que l’on connaît.
2. Carte montrant la localisation des formations volcaniques (étoiles jaunes) dans les Alpes-Maritimes et le Var. ( Source : Géoazur )
L’intérêt pour ce volcan
L’existence de ce domaine volcanique je l’ai apprise à l’âge de 16 ans, grâce à l’Association des Naturalistes de Nice et des Alpes-Maritimes (ANNAM), section géologie, dont j’étais membre. Les dimanches, nous partions chercher fossiles et minéraux dans le département. Ces occasions m’ont amené à visiter le site à plusieurs reprises, on allait y chercher de petits fragments de bois silicifié. Puis mes activités sportives et autres m’ont guidé vers de nouveaux points d’intérêts délaissant ce volcan pourtant tout proche de chez moi, sur la commune voisine.
Au printemps 2019, le service communication de la mairie de Villeneuve m’a sollicité pour finaliser un projet d’ouvrage dans lequel tous les aspects de la commune devaient être abordés. Ils souhaitaient intégrer un volet sur la géologie et particulièrement sur ce mystérieux volcan de Villeneuve-Loubet – Biot dont ils avaient peu de connaissances.
Malheureusement, il existe très peu de publications sur l’histoire de ce volcan, seule l’ANNAM avait publié des articles sur le bois silicifié. Je me suis entouré alors, d’un membre de l’ANNAM, M. François Destré, et d’un chef de projet de l’ONF, M. Vincent Kulesza, pour effectuer une première visite de ce terrain privé. Une demande officielle fut adressée au marquis de Panisse-Passis, propriétaire du terrain, par le service de communication de la mairie. Quelques jours plus tard, une maladie aussi imprévisible que foudroyante emporta le regretté François Destré. Je fis donc en solitaire de nombreuses excursions arpentant de long en large ce domaine à la découverte d’indices permettant de mieux connaître ce volcan. Cependant, le domaine volcanique visitable se réduit comme une peau de chagrin.
3. Le domaine volcanique est formé par quatre secteurs dont le plus important est au sud, trois autres se situent au nord et sont séparés par le vallon du Margaric et le fleuve côtier le Loup. (Infographie réalisée par André Laurenti sur fond de carte openStreetMap)
Description du domaine volcanique
Le domaine volcanique encore visible apparaît morcelé formant quatre principaux secteurs. Le plus important se situe au sud, proche du littoral, et s’étend sur deux communes : Biot à l’ouest et Villeneuve-Loubet à l’est. Au nord-est en rive gauche du fleuve Loup se trouve le secteur 2, un promontoire rocheux dominé par le château du marquis abritant le vieux village de Villeneuve. Les secteurs 3 et 4 situés sur Villeneuve sont séparés de la partie principale par le vallon du Mardaric. Sur le secteur 4, figure une ancienne carrière de pierre à four (cinérite).
L’ensemble couvre une superficie de 11 km2 avec comme point culminant le Terme Blanc (206 m) situé sur la commune de Biot mais qui ne représente pas un point d’émission bien que les Biotois l’aient dénommé le « dôme de Biot ».
Contexte actuel
L’approche de ce domaine volcanique n’est pas toujours aisée en raison de l’urbanisation galopante qui le recouvre partiellement... comme, par exemple, le vaste domaine résidentiel des hauts de Vaugrenier, ou bien le site industriel d’Amadeus, ou encore l’ancienne décharge départementale du Jas-de-Madame.
L’accès se fait à partir de Biot par le quartier des Vignasses ou par Saint-Julien. En revanche côté Villeneuve-Loubet, le marquis de Panisse-Passis détient plus du tiers du territoire de Villeneuve, dont une grande partie des terrains volcaniques. Depuis le début de l’année 2024, le domaine volcanique n’est plus accessible, le marquis a interdit l’accès à sa propriété, des gardes particuliers verbalisent toute personne franchissant son domaine privé.
Que nous apprend ce site
La signature dominante de ce volcan, voire son ADN, est la roche andésitique caractéristique des volcans de subduction. Lors de la première visite, l’expertise de François Destré révéla que ces roches renferment des phénocristaux de plagioclase, amphibole et pyroxène.
Les éruptions qui ont formé ce vaste domaine ont sans doute connu des manifestations similaires à celles qui ont détruit Pompéi en l’an 79, Saint-Pierre de la Martinique en 1902 ou, plus récemment de 1995 à 2010, Plymouth la capitale de l’île de Montserrat dans les Caraïbes.
Un affleurement situé sous la tour de la Madone à Villeneuve-Loubet montre différentes strates, constituées en dessous par des dépôts fins qui pourraient correspondre à des dépôts de nuées ardentes, ou bien à des coulées de boue (lahars) et au-dessus à une coulée de débris ou de lahars.
4. Affleurement de tuf clair surmonté de brèche andésitique fait d’assemblage de blocs sous la tour de la Madone. ( Photo © André Laurenti ; informations complémentaires : Christèle Vérati, Géoazur )
5. Erosion différentielle avec ce bloc d’andésite couvrant des dépôts volcaniques plus fin faciles à éroder et appelés cinérite, sur le site de Fenouillère de Villeneuve-Loubet. ( Photo © André Laurenti )
Ce mystérieux volcan nous a laissé aussi de drôles de champignons composés d’un bloc d’andésite en chapeau plus résistant à l’érosion et des dépôts plus fins et plus tendres en dessous, que les géologues appellent la cinérite.
Dans le secteur de Biot, sur de nombreuses roches andésitiques, on observe une auréole d’oxydation qui pourrait correspondre à une mise en place d’un bloc encore très chaud dans un milieu riche en eau. L’auréole doit correspondre à l’interface entre la zone chaude et la zone froide.
Sur l’ensemble du site, on remarque de nombreux blocs arrondis entourés d’un cortex. La Lithothèque-PACA qui inventorie les roches remarquables de la région, suggère une éruption sous une faible tranche d’eau.
6. L’auréole correspond à l’interface entre la zone chaude et la zone froide. ( Photo © André Laurenti )
7. Sur l’ensemble du site, on remarque de nombreux blocs arrondis entourés d’un cortex et qui suggèrent une éruption sous une faible tranche d’eau. ( Photo © André Laurenti )
8. Sur l’ensemble du site, on remarque de nombreux blocs arrondis entourés d’un cortex et qui suggèrent une éruption sous une faible tranche d’eau. ( Photo © André Laurenti )
Les richesses géologiques
Parmi les richesses géologiques du site, les incendies dévastateurs d’août 1969 ont permis de découvrir des arbres silicifiés. Ces bois ont confirmé la présence d’une couverture végétale mise en place entre deux périodes éruptives. Les volcans Pinatubo ou Soufrière Hills de Montserrat ont montré que ce type de volcan peut se faire oublier pendant une longue période de plusieurs siècles, permettant ainsi à la végétation de reprendre le dessus, avant un prochain retour en fanfare.
En partie supérieure du massif, des arbres silicifiés dans un contexte de nuées ardentes ont été découverts. Ils représentent des fragments de bois de quelques décimètres de longueur.
Parmi les végétaux fossiles remarquables retrouvés sur le site, il y a des troncs flottés, mais figurent aussi des troncs d’arbres verticaux fossilisés en place. Un échantillon a pu être identifié par le professeur L. Moret comme étant un chêne. Des fûts d’une dizaine de mètres de long ont été découverts, parfois accompagnés de fossiles de feuilles. Une tranche a été conservée au musée d’histoire naturelle de Nice, mais à cette époque on portait peu d’intérêt à cette richesse géologique, le reste fut débité en petits cailloux pour les décorations de jardins.
9. Tranche de bois silicifié provenant du site et exposé au musée de Biot. ( Photo © André Laurenti )
La chimie du volcan a donné aussi des opales qui surprennent par leur teinte franche et leur couleur bleue avec une légère nuance de vert lié à une influence du cuivre. Malheureusement, en raison de la forte urbanisation, les deux gisements connus par quelques membres de l’ANNAM ne sont désormais plus accessibles.
10. La chimie du volcan a donné aussi des opales, mais en raison de la forte urbanisation, les deux gisements connus ne sont désormais plus accessibles – pièce exposée au musée de Biot. ( Photo © André Laurenti )
Une matière première exceptionnelle
Ce domaine volcanique a fourni une matière première exceptionnelle pour les populations locales et exploitée depuis au moins l’Antiquité.
À Biot, la présence d’argile dans le bassin de la Brague et la cinérite du volcan étaient une aubaine. Le judicieux mélange rendit la matière plus résistante et a permis à Biot de devenir un grand centre de l’artisanat de la terre cuite. Les jarres de qualité fabriquées en grand nombre, furent exportées depuis Marseille et Gênes, dans toute la Méditerranée et même au-delà, vers les Antilles, les rivages des Amériques et de l’Inde.
La cinérite a représenté aussi un matériau de prédilection pour la construction de fours. Depuis l’Antiquité, la pierre des Aspres ( commune de Biot ) a été recherchée et la première mention écrite des fours remonterait à 1269. Mais ce fut à partir des XVIIIème et XIXème siècles qu’une véritable industrie de la pierre à four se développa à Biot. Elle servit pour les fours à poterie et aussi à pain.
Dans le nord-ouest du département, le four communal d’Entraunes, réhabilité en 2011, possède une porte en pierre de Biot datée de 1907. La cinérite a été exploitée dans la carrière du secteur 4 sur la commune de Villeneuve et au quartier Saint-Julien à Biot.
Au cours de mes excursions j’ai rencontré un Biotois, M. Campedieu, dont le père travaillait dans une carrière de pierre à four, celle située sur le secteur 4.
La pierre était extraite à la main à l’aide de pic et de coins. Un petit film sur l’exploitation de la carrière par son père existe au musée de Biot. Les délibérations communales et les devis, ainsi que les marques des fabricants sur les portes, permettent d’identifier deux principaux constructeurs : Campedieu et Nicolas Granelle, tous deux fabricants de fours à Biot.
Le volcan a fourni également des pierres aux bâtisseurs notamment pour le vieux village de Villeneuve-Loubet où la roche a été utilisée pour construire les maisons. Cette pierre se taillait difficilement, elle était plutôt employée comme remplissage au niveau des murs ; les angles et les entourages d’ouvertures étaient réalisés en pierre calcaire omniprésente non loin de là et plus facile à équarrir.
11. Ancienne carrière de cinérite du secteur 4 qui était encore en activité vers le milieu du xxème siècle. ( Photo © André Laurenti )
12. La tour de la Madone classée monument historique et située sur le flanc nord du volcan. on y voit la base et une partie des angles réalisés en pierre calcaire plus apte à l’équarrissage avec un remplissage des murs en pierre volcanique plus grossière, en arrière-plan le type d’éruption qu’a sans doute connu ce domaine volcanique. ( Photo montage © André Laurenti )
Mais où est donc ce volcan ?
Depuis tout ce temps l’érosion a été très importante et a considérablement adouci le relief. Le point d’émission était sans doute beaucoup plus élevé. Le point culminant actuel de l’ensemble du massif est le Terme Blanc ( 206 m d’altitude ), il est positionné à peu près au centre du massif, sur la commune de Biot, il pourrait représenter un candidat sérieux.
Cependant au sommet, les formations en place sont identiques à toutes celles que l’on observe dans le massif. Rien ne laisse supposer un point d’émission à cet endroit.
Une autre hypothèse situerait le volcan en mer, au large d’Antibes. Un édifice probablement effondré par l’ouverture océanique de la Méditerranée occidentale.
13. Carte des fonds marins montrant en rouge les traces de volcanisme, entre le cap Corse et le Monte Doria où se trouve le point de rotation du bloc corso-sarde. Source : Nadège rollet, Jacques Déverchère, Marie-odile Beslier, Pol Guennoc, Jean-Pierre réhault, Marc Sosson et Catherine Truffert : Back arc extension, tectonic inheritance, and volcanism in the Ligurian Sea, Western Mediterranean, in Tectonics, 15 juin 2002, volume 21, issue 3
Conclusion
L’urbanisation et ses aménagements ont dévoré à jamais une histoire géologique remarquable mal connue et qui pourtant est la nôtre. Ce volcan conserve une part du mystère, il a encore beaucoup à nous apprendre. Cet article permettra peut-être de donner des pistes d’investigations pour connaître davantage son histoire.
Le volcan s’est endormi à jamais mais son héritage est encore là ! On apprend trop souvent l’histoire à travers celle des hommes, mais pour la connaître vraiment, il faut également remonter dans les coulisses du temps. Tout ce qui nous entoure est une invitation à voir le monde autrement, l’histoire est terminée mais en fait elle ne s’arrête pas, elle continue.
Remerciements
À Corinne Paolini du service de communication de la mairie de Villeneuve Loubet, pour ses sollicitations sur le sujet qui au final ont éveillé un vif intérêt pour ce volcanisme local très mystérieux.
À Vincent Kulesza, chef de projet naturaliste à l’Office National des Forêts.
Au regretté François Destré, membre de l’Association des Naturalistes de Nice et des Alpes-Maritimes (ANNAM), disparu trop vite après notre première visite de terrain.
À Madame Christèle Vérati, laboratoire Géoazur, Sophia Antipolis, pour sa précieuse collaboration (Lithothèque -PACA).
Au personnel du Musée d’histoire et d’archéologie de Biot.
14. Vue panoramique du domaine volcanique avec, au premier plan, le secteur 4. (Photo © André Laurenti)
Bibliographie
(complément de Dominique Decobecq) -- Voici une bibliographie succincte sur le volcanisme andésitique de Biot qui est à rattacher avec le volcanisme du Cap d’Ail (à coté de Monaco) et à l’Estérelite (diorite quartzique) observée au cap Dramont.
- Jean-Dominique Giraud (1983) : L’arc andésitique paléogène des Alpes occidentales. Thèse d’état, université de Nice, 378 p.
- Jean-Pierre Ivaldi, Hervé Bellon, Pierre Guardia, Christian Mangan, Carla Müller, Jean-Louis Perez et Serge Terramorsi (2003) : Contexte lithostructural, âges 40K – 40Ar et géochimie du volcanisme calcoalcalin tertiaire de Cap-d’Ail dans le tunnel ferroviaire de Monaco. Comptes rendus Géoscience, vol. 335, p. 411-421.
- Pierre Rostan (1981) : Les végétaux fossiles des formations volcanosédimentaires de Biot (Alpes-Maritimes). Comptes rendus du 106ème Congrès national des Sociétés savantes. Fasc III, p. 375-386.
- Michel Siffre (1963) : Contribution à l’étude des formations plio-quaternaires des Alpes-Maritimes. Bulletin de la Société Géologique de France. 7ème série, T. 5, p.95-108.
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