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Article publié dans la revue LAVE N°212

Le volcan de la Montagne du Pic
(Açores, Portugal)

( partie 1 )

Guy CANIAUX

[ La Montagne du Pic est un volcan polygénique imposant qui cumule plusieurs superlatifs : c’est le plus haut sommet des Açores et du Portugal (2 350 m), le troisième sommet de l’Atlantique Nord-Est (après le Teide aux Canaries [3 718 m] et le Fogo au Cap-Vert [2 829 m]). Avec un volume émergé de 97 km3 et une superficie de 275 km2, c’est le plus gros volcan de l’archipel des Açores.
C’est aussi le plus actif – 22 éruptions au cours des 1 500 dernières années – et le deuxième plus jeune (après le volcan de la caldeira de Graciosa). ]

1.  La Montagne du Pic vue depuis le port de Horta (île de Faial).
Image © Guy Caniaux

Figure 1.  La ride Pico-Faial avec les différents complexes volcaniques
(source : https://www.emodnet-bathymetry.eu/).

        

        L’île de Pico appartient, avec sa voisine Faial, à une ride volcanique longue de 160 km constituée de deux types de structures (figure 1) :

        (a) Des chaînes linéaires allongées, formées d’une multitude de cônes de scories plus ou moins alignés, i.e., d’Est en Ouest : la Ride de Pico, immergée, orientée N140°E prolongeant sur 80 km l’île de Pico vers le Sud-Est; le Complexe Volcanique de São Roque – Piedade, constitué de 170 cônes, orienté N115°E, long de 29 km; la Plateforme de Horta au Sud-Est de Faial, qui compte 14 appareils, et se poursuit à l’extrémité Nord-Ouest de l’île par la péninsule de Capelo, dont les 23 volcans monogéniques s’étirent sur 9 km.

        (b) Des volcans polygéniques, soit anciens et démantelés: le Topo sur Pico et les complexes de Espalamaca et de Ribeirinha sur Faial; soit récents et actifs : la Montagne du Pic sur Pico et le massif de la Caldeira sur Faial.

        Ces deux derniers appareils, distants de seulement 30 km de sommet à sommet, sont de grands volcans centraux que leurs caractéristiques morphologiques, tectoniques et volcanologiques opposent radicalement.

        Si le volcan de la Caldeira est peu élevé (sommet à 1 043 m au Cabeço Gordo), aux pentes douces, ramassé sur une superficie réduite, il est entaillé par une vaste caldeira sommitale (2 km de diamètre ; 290 m de profondeur) et est fortement marqué par la tectonique avec le graben de Pedro Miguel.

        À l’inverse, la Montagne du Pic (photo 1), plus de deux fois plus élevé (sommet à 2 350 m au Piquinho), possède un cône terminal au relief vigoureux, dont les pentes dépassent 30° et atteignent localement 60°. Son sommet est creusé d’un petit cratère-puits (environ 600 m de diamètre pour une profondeur d’à peine 20 m) et l’expression en surface des accidents tectoniques y est quasiment nulle.

        De plus, depuis 1 500 ans, toutes les éruptions du volcan de la Caldeira de Faial ont été explosives et ont produit des magmas évolués, alors que la Montagne du Pic n’a connu que des éruptions effusives aux laves peu différenciées.

        

Figure 2.  Carte volcanologique simplifiée de la Montagne du Pic sur laquelle sont représentées : en vert les coulées de lave émises entre 1500 et 1000 B.P. ; en jaune celles émises entre 1000 et 500 B.P. ; en bleu clair les coulées historiques (d’après Nunes, 1999 et Cappello et al., 2015).

Morphologie

Un appareil dissymétrique formé de deux volcans superposés

        Le volcan de la montagne du Pic domine l’extrémité occidentale de l’île de Pico. Au niveau de l’océan, sa base a la forme d’une ellipse dont le grand axe, étiré N115°E dans le sens d’élongation de l’île, fait 21 km de long et le petit axe 16 km. Son sommet, le Piquinho, est décalé vers le Sud-Est d’environ 2,5 km de son centre géométrique : il se trouve à 13,3 km de Madalena au Nord-Ouest et à 9,4 km de São Roque do Pico au Nord-Est, alors que seulement 4,7 km le séparent de la côte au Sud (figure 2). C’est par conséquent un massif dissymétrique, une dissymétrie que l’on retrouve sur le profil de ses flancs.

        Quel que soit le secteur, le massif présente toujours un profil concave. Cependant, les flancs au Nord et à l’Ouest sont très différents du flanc Sud. Au Nord et à l’Ouest, les pentes, inférieures à 10° au voisinage du littoral, se redressent progressivement vers 1000 m d’altitude. Marquées d’une cassure vers 1 200 m, elles atteignent 30 à 35° au-dessus (photo 2). Au Sud, le profil moyen est plus accentué. Au-dessus de São Caetano et de Terra do Pão, dès 200 m d’altitude, la pente est de 36° jusqu’à 1 100 m puis elle décroît : 29° jusqu’à 2 100 m, 18° au-dessus.

        

2.  Profil Est-ouest de la Montagne du Pic depuis son flanc Nord.
Image © Guy Caniaux

        

        La rupture de pente qui, selon les secteurs, se situe entre 1 100 et 1 300 m d’altitude, traduit en fait l’existence de deux structures superposées : un volcan bouclier aux formes douces dans la partie inférieure et un cône terminal proéminent (photo 3), en limite de stabilité gravitationnelle, comme le montrent les grands éboulements rocheux qui recouvrent ses flancs. Ce sont les Quebradas da Terça, do Curral et do Norte et l’Areeiro de Santa Luzia, respectivement du Sud au Nord (photo 4). Ces effondrements, issus de la zone sommitale, descendent jusque vers 1 200 m d’altitude.

        

3.  Le cône terminal vu depuis le Nord-Est.
Image © Guy Caniaux

4.  De gauche à droite, les effondrements rocheux des Quebradas da Terça, do Curral et do Norte.
Image © Guy Caniaux

Le cône terminal

        La base du cône terminal possède une forme d’ellipse étirée selon l’axe N060°E, différent de celui de la base du volcan bouclier (N115°E). La fraicheur et la taille du cône terminal (surface basale de 14 km2 ; volume de 6 km3, soit 6% du volume de la Montagne du Pic) laissent supposer une formation récente.

        Son flanc Sud présente un méplat semi-circulaire, d’environ 800 m de diamètre, qui est à l’origine d’une rupture de pente marquée vers 2 050 m d’altitude. C’est un ancien cratère terminal, d’où son appellation de « cratère fossile » (photo 5). Il a ensuite été comblé puis recouvert par des coulées de lave de type pahoehoe issues de l’actuelle zone sommitale. Des fissures de traction, de 2 à 3 m de large et pouvant atteindre 8 m de longueur, sont présentes au Sud-Est du cratère fossile, au-dessus du Quebrada da Terça : elles traduisent les conditions d’instabilité qui règnent à sa périphérie, en raison de la pente.

        

5.  Le méplat vers 2050 m formé par le cratère fossile vu depuis l’ouest.
Image © Guy Caniaux

        

        Vers 2 250 m, le cône terminal est entaillé par un cratère-puits quasi-circulaire de 550 m à 590 m de diamètre (photo 6). Avant l’effondrement du cratère-puits, le sommet de la Montagne du Pic a dû probablement atteindre une altitude plus élevée que celle d’aujourd’hui. Au Sud-Ouest, la paroi du cratère ne dépasse pas 20 m de haut ; elle est constituée de l’empilement de coulées de lave pahoehoe en bancs d’épaisseur métrique. Au Nord-Est, l’enceinte du cratère s’est effondrée, alimentant le Quebrada do Norte et l’Areeiro de Santa Luzia.

        

6.  Le cratère puits du sommet.
Image © Dominique Decobecq

        

        À l’intérieur du cratère, s’élève un petit cône de 120 m de hauteur et de 200 m de diamètre basal qui constitue le sommet du volcan: le Pico Pequenho ou Piquinho (photo 7). De son cratère sont issues des coulées de lave pahoehoe en forme de tripes. Celles-ci (parfois nommées « lac de lave ») ont comblé le cratère-puits avant de déborder vers l’Est (photo 8) et le Sud-Est, nappant, dans ces secteurs, les flancs de la Montagne du Pic de coulées de lave peu épaisses. L’éruption du Piquinho est datée de 1310 ± 70 B.P. (cal 760 A.D.).

        

7.  Le Piquenho et ses coulées pahoehoe en tripes.
Image © Dominique Decobecq

8.  Le Piquinho, le « lac de lave » et la coulée de débordement du cratère sommital.
Image © Guy Caniaux

        

        Une structure parcourt la surface du cratère puits, depuis les pentes du Piquinho jusqu’à la paroi Sud-Ouest du cratère (l’Eirado) et se prolonge en dehors de son enceinte jusque vers 2 000 m d’altitude en direction de Lomba de São Mateus. Il s’agit d’une fissure éruptive, que l’on nommera la « fissure sommitale N060°E» (photo 9). Elle est le témoin de l’ultime éruption volcanique terminale et elle est datée de 740 ± 30 B.P. (cal 1262 A.D.1 ). Les pyroclastes émis lors de cette éruption tapissent, sur une faible épaisseur, la surface du cratère au Nord de la fissure, en raison de vents de secteur Sud/Sud-Est soutenus lors de l’éruption.

        

1. Les datations calibrées ont été obtenues avec le programme IntCal20 de Reimer et al. (2020)
(cf.https://c14.arch.ex.ac.uk/oxcal.html).

        

9.  La fissure éruptive sommitale.
Image © Dominique Decobecq

        

        Les centres géométriques du cratère fossile, du cratère-puits et du Piquinho forment un axe N020°E de 700 m de long, chronologiquement orienté. L’activité terminale de la Montagne du Pic a donc migré au cours du temps vers le Nord/Nord-Est. Cette migration s’est accompagnée de l’obstruction des anciens conduits magmatiques et de l’effondrement du cratère-puits, révélant ainsi l’intense fracturation qui affecte la zone sommitale. Ce déplacement affecterait l’ensemble de la ride Pico-Faial : il serait associé à l’ouverture du rift de Terceira – i.e., la limite entre les plaques Eurasiatique et Nubienne – alors que les centres d’alimentation magmatiques profonds restent fixes (França, 2002).

Le volcan bouclier

        Les flancs de la Montagne du Pic sont constellés d’une multitude d’appareils monogéniques, 215 selon la carte géologique, soit une densité proche de 0,7 appareil au km2. Ce sont des cônes de scories, des spatter-cones et des spatter-remparts. Il n’existe que deux anneaux de hyaloclastites : le Cabeço Debaixo da Rocha sur le flanc Nord-Ouest formant un kipuka parmi des coulées de lave plus récentes et les îlots de Madalena : Ilhéu Deitado et Ilhéu Em-Pé (respectivement îlot couché et îlot debout), restes d’un appareil surtseyen démantelé par l’érosion marine (photo 10). On trouve encore 11 fissures éruptives (photo 11), comme la fissure sommitale et 13 hornitos.

        

10.  Ilhéu Em-Pé (îlot debout), ancien appareil surtseyen.
Image © Guy Caniaux

11.  Fissure 1150 sur le flanc Nord-Est du cône terminal avec en arrière-plan le Bico do Milhafre (1503 m).
Image © Guy Caniaux

        

        Les cônes de scories sont de petite dimension, comparés à ceux qui ont édifié le Complexe de São Roque – Piedade à l’Est de l’île. Ils forment des alignements à la disposition radiale autour du cône terminal (figure 2). Cappello et al. (2015) dénombrent 82 alignements aux longueurs modestes (entre 66 et 2 436 m; moyenne : 640 m). Parmi les plus caractéristiques figurent les alignements Cabeço de João Homem – Cabeço Selado (flanc Ouest ; quatre appareils alignés sur 1,5 km de longueur entre 700 et 550 m d’altitude), Cône 264 – Cabeço da Queimada (flanc Nord-Est ; quatre appareils, 1,5 km entre 250 et 150 m) ou l’alignement Cabeço do Coiro – Touril (flanc Sud-Est ; six appareils ; 2,3 km entre 900 et 700 m).

        Les appareils adventifs de la Montagne du Pic ne sont pas distribués de manière uniforme. Leur concentration est plus élevée (jusqu’à 5 à 6 appareils au km2) sur deux larges bandes orientées N115°E, situées au Nord-Ouest (autour du Cabeço do Manuel João) et au Sud-Est (à proximité du Cabeço do Moiro; photo 12) du sommet. À l’opposé, un vaste secteur Nord, entre les villages de Bandeiras et de Santana, en est totalement dépourvu. De même, au-dessus de 1 400 m d’altitude, le cône terminal ne possède aucun appareil secondaire.

        

12.  Cabeço do Moiro (756 m) sur le flanc oriental
Image © Guy Caniaux

Volcanologie

        La Montagne du Pic est un volcan jeune, comme l’indiquent la morphologie de ses côtes, son réseau hydrologique et sa stratigraphie.

Les côtes

        Les coulées de lave ont presque entièrement recouvert la base de la Montagne du Pic et les côtes sont basses sur quasiment toute sa périphérie. Ce qui indique que, sur l’ensemble du littoral, les forces constructives du volcanisme l’emportent sur les forces destructives de l’érosion marine. Le contraste est frappant entre les côtes de la Montagne du Pic et celles du Complexe de São Roque – Piedade ou encore celles de l’île voisine de São Jorge, sur laquelle les falaises peuvent atteindre 800 m d’altitude.

        63% de son littoral, long de 60 km, sont en effet inférieurs à 10 m d’altitude ; 36% sont compris entre 10 et 50 m et le reste, 1%, entre 50 et 100 m. Les côtes sont formées à 90% de coulées de lave, majoritairement de nature pahoehoe. Les côtes mixtes (i.e., constituées de matériaux divers : coulées de lave, pyroclastes, éléments détritiques, etc.) sont réduites à deux courtes portions du littoral : vers Pé do Monte (flanc Ouest) ainsi qu’entre Santana et São Vicente (Nord-Est). Coïncidant avec les sections les plus élevées, les côtes mixtes représentent 6% du trait de côte, les côtes à hyaloclastites (îlots de Madalena) 1% et les 3% restant correspondent aux installations portuaires de Madalena et de São Roque do Pico (d’après Borges, 2003).

Les sols et l’hydrologie

        En bord de côtes, les sols sont peu développés. La frange littorale se prête à la monoculture de la vigne – seule culture apte à s’accommoder à de si maigres sols – que les hommes ont patiemment aménagé depuis le XVIe siècle en élevant de petits enclos de pierres sèches, les currais ou curraletes (photo 13). Ceux-ci limitent l’érosion des sols, le ruissèlement et les embruns salés. Pendant la nuit, le basalte restitue aux deux ou trois plans de vigne que protège chaque curral, la chaleur solaire emmagasinée la journée.

        

13.  Currais de la région de Monte.
Image © Guy Caniaux

        

        Le drainage des sols est quasi-nul. Les lignes d’eau sont rares sur l’ensemble du massif et lorsqu’elles existent, sont éphémères, réduites à quelques brefs épisodes de pluies torrentielles. Les tubes de lave, nombreux sur la Montagne du Pic, n’ont d’eau que rarement en cours d’année (photo 14). Dans les villages, l’approvisionnement en eau se fait grâce aux citernes privées. Quelques nappes souterraines sont exploitées pour le réseau public. Le long du littoral, des puits de marée (poços de maré ; photo 15) ont été creusés dans le basalte ; ils filtrent l’eau de mer et fournissent une eau saumâtre destinée au bétail.

        

14.  Stalactites basaltiques dans le tube de lave de Gruta das Torres.
Image © Guy Caniaux

15.  Poço de maré à Lajido (côte Nord).
Image © Guy Caniaux

La stratigraphie

        La stratigraphie la plus récente de la Montagne du Pic est due à Nunes (1999), Nunes et al. (1999) et França (2002). Elle s’appuie sur une dizaine de datations radiométriques (C14), auxquelles s’ajoutent des mesures récentes à l’hélium cosmogénique (Zanon et al., 2020) et des données paléomagnétiques (Béguin et al., 2021).

        Elle est subdivisée en trois unités, elles-mêmes découpées en sous-unités (tableau 1). Les formations les plus anciennes sont rares à l’affleurement, ce qui signifie que l’histoire du volcan, au-delà de quelques dizaines de milliers d’années, est inconnue. On ignore la localisation des centres primitifs. On ne sait pas si son édification s’est faite de manière continue ou si elle a été ponctuée d’une ou de plusieurs périodes de quiescence. Nunes (1999) estime que son activité a débuté il y a environ 240 000 ans et que le cône terminal s’est érigé sur 15 000 ans.

        

Tableau 1.  échelle stratigraphique de la Montagne du Pic selon Nunes (1999) et França (2002) avec entre crochets le nombre d’éruptions connues.

        

        Détaillons brièvement la stratigraphie. L’Unité Inférieure affleure dans la région de Madalena (flanc Nord-Ouest) avec les Cabeços da Cova, dos Rienos, Debaixo da Rocha et les îlots de Madalena, ainsi qu’entre Santana et Santo António au Nord-Ouest, où quelques cônes de scories (Cabeços da Queimada, Zaranza, Árvore...) ont émis des coulées de lave aphyrique.

L’unité intermédiaire

        La Sous-Unité Inférieure correspond à la phase d’édification du volcan bouclier et s’arrête à la formation du cratère fossile. Elle comprend les grandes étendues de coulées de lave pahoehoe de la côte Nord, entre Cais do Murrato et la Ponta Negra (photo 16). Ces coulées seraient issues de la zone sommitale car aucun cône de scories n’apparaît entre le littoral et le sommet. Cette sous-unité intègre cependant des appareils excentrés, comme les Cabeços Grande et Pequenho, Miradouro, Selado...

        

16.  Tronc d’arbre fossilisé dans les coulées pahoehoe à Arcos (flanc Nord).
Image © Guy Caniaux

        

        La Sous-Unité Intermédiaire regroupe des appareils situés en périphérie immédiate du cône terminal (Cône 1208, Bico do Milhafre, Cabeços do Capitão, das Cabras...) ainsi que des coulées de lave provenant de la zone terminale. Elle inclut aussi de nombreux appareils excentrés qui prolongent dans le temps l’édification du volcan bouclier (Cabeços dos Caldeirões, do Mariano, do Moiro...).

        Les coulées de lave et édifices émetteurs des dernières unités/sous-unités sont représentés sur la figure 2. Les coulées de lave de l’Unité Intermédiaire, Sous-Unité Supérieure proviennent d’appareils situés à la périphérie immédiate du cône terminal (12 éruptions).

        

Tableau 2.  Liste et caractéristiques des éruptions historiques de la Montagne du Pic (d’après Nunes, 1999).

L’unité Supérieure

        La Sous-Unité Inférieure, sept éruptions sont recensées, hormis l’éruption de la fissure sommitale N060°E datée de 1262 A.D., elles se situent toutes en dehors du périmètre des éruptions de la Sous-Unité précédente. Ce sont, sur le flanc Ouest, le groupe des Cabeços do Tamusgo, Manuel João et Bravo (dont l’éruption est datée de 1309 A.D. par paléomagnétisme). Sur le flanc oriental, ce sont les éruptions du Pico da Urze (625±65 B.P. ; cal 1350 A.D. ; photo 17), dont les coulées de lave ont atteint le littoral dans la région de São João, ainsi que celles de la fissure Escalvado et du Cabeço do Escalvado (photo 18), vraisemblablement très proches dans le temps2. Leurs abondantes coulées de lave ont envahi la zone en laissant des kipukas, d’où émergent des appareils anciens appartenant au Complexe de São Roque – Piedade (i.e., Cabeços do Teicho, do Sintrão, da Junqueira...). Enfin au Sud, l’éruption des Cabeços de São Mateus et da Prainha et du Cône 169, datée 3 de 1212 A.D. par paléomagnétisme , a bâti une fajã constituée de coulées de lave pahoehoe. Avec une superficie de 1,6 km2, c’est la plus vaste fajã de l’île de Pico (mémoire LAVE n° 13, les Fajas des Açores).

        

2. Peut-être s’agit-il de la même éruption. Elle est datée de 367 ±75 B.P. ; cal 1543 A.D. Cette datation est manifestement sousévaluée car elle serait historique (l’île de Pico aurait été peuplée à partir de 1482/1483). Or elle n’est mentionnée dans aucun document de l’époque (Nunes, 1999).

        

3. Cette éruption pourrait être plus ancienne. En effet, Nunes (1999) obtient une datation C14 de 1485 ± 90 B.P. ; cal 545 A.D..

        

17.  Pico da urze (899 m) situé sur le flanc oriental.
Image © Guy Caniaux

18.  Cabeço do Escalvado (1067 m) avec, à droite, la fissure Escalvado (1063 m) et en arrière-plan les Cabeços do Curral da Serra (1288 m).
Image © Guy Caniaux

La Sous-Unité Supérieure

        La Sous-Unité la plus récente correspond aux éruptions historiques de 1718, 1720 et 1963 (tableau 2).

        • L’éruption de 1718

        Elle s’est produite en deux phases, le long d’une fissure discontinue, orientée N150°E, qui traverse le volcan à l’aplomb du Piquinho.

        La première phase débuta le 1er février sur le flanc Nord, sur une fissure longue de 1 750 m comprise entre 1 250 et 900 m d’altitude (la Lomba de Fogo). Les récits historiques mentionnent que des cendres, poussées par des vents soutenus de secteur Nord, retombèrent en abondance sur le village de São Mateus. Le débit lavique fut si abondant qu’en six heures les coulées de lave atteignirent le littoral à Cachorro, distant de 9 km: c’est le Mistério de Santa Luzia (photo 19).

        

19.  Coulée aa de 1718 avec boules d’accrétion recouvrant les empilements de laves pahoehoe à Cachorro (côte Nord).
Image © Guy Caniaux

        

        Le lendemain matin débute une seconde phase éruptive, avec l’ouverture d’une nouvelle fissure de 1,5 km de long, située sur le flanc Sud-Est du massif à environ 7 km des bouches précédentes. Elle a lieu à des attitudes plus basses, comprises entre 200 et 150 m. Son ouverture provoque une diminution du débit lavique sur la fissure Nord. L’activité se concentre sur le cône de scories dénommé aujourd’hui Cabeço de Cima (photo 20). Les laves émises atteignent le littoral et forment un petit delta lavique : c’est le Mistério de São João. Un doute subsiste quant à l’arrêt de l’éruption: en novembre ou en janvier de l’année suivante.

        

20.  Cabeço de Cima (298 m) et la coulée de 1718 (côte Sud).
Image © Guy Caniaux

        

        Les cendres, scories et coulées de lave émises lors de la première phase de cette éruption ont une composition de benmoréite. Quelques rares échantillons d’un premier flux lavique ont une composition de mugéarite. Cette émission de produits différenciés fut de courte durée (tableau 2) car elle fut suivie le lendemain par des basaltes stricto-sensu. sur la seconde fissure éruptive.

        L’intérêt de cette éruption est triple :
(a) – L’extrusion de coulées de lave au Nord puis au Sud du sommet, à des altitudes successivement plus basses, le long du même accident tectonique, provoqua une baisse de pression dans les conduits magmatiques, entraînant l’arrêt de l’activité de la phase 1 au détriment de celle de la phase 2 ;

(b) – Des cônes de scories formés lors de la même éruption peuvent être alignés sur des distances importantes, alors que la structure tectonique qui leur est associée n’a pas de signature apparente en surface ; d’où, de manière générale, la difficulté d’associer au même événement éruptif plusieurs cônes de scories alignés ;

(c) – L’émission de coulées de lave différenciée, de faible volume et sur un intervalle de temps limité, indique que la Montagne du Pic ne possède pas de chambre magmatique développée ou bien qu’elle pourrait être à un stade de formation précoce.

        • L’éruption de 1720

        L’éruption suivante débuta le 10 juillet 1720, moins de deux ans après la précédente et fut précédée par une longue série de séismes. Elle eut lieu sur une fracture orientée ONO-ESE, dans le prolongement de la ligne Piquinho – Cabeço do Mariano, à environ 1 km de ce dernier (photo 21). Vers 400 m d’altitude, plusieurs bouches éruptives furent actives et leur coalescence édifia l’actuel Cabeço do Fogo, aux quatre cratères alignés. Des cendres atteignirent, selon les chroniques historiques, l’île de São Jorge distante de 30 km. La lave parcourut 2 km jusqu’au littoral. Ce champ de lave forme le Mistério da Silveira. L’éruption s’arrêta le 18 décembre de la même année.

        

21.  Cabeço do Mariano (534 m) et Cabeço do Fogo (478 m), site de l’éruption de 1720. À l’arrière-plan, la baie de Lajes do Pico.
Image © Guy Caniaux

        

        • L’éruption de 1963

        La troisième éruption fut sous-marine. Le 15 décembre 1963, au large de Cachorro au Nord de l’île, des témoins rapportent avoir aperçu des nuages de vapeur s’élever par intermittence de la surface de l’océan, à environ 8 miles de la côte. Le sismographe de Faial enregistra des trémors volcaniques entre les 12 et 15 décembre. Cette éruption probable pourrait se situer sur le prolongement de la fracture NNO-SSE sur laquelle se trouvaient les bouches éruptives de 1718.

Tectonique

        Les coulées de lave jeunes qui recouvrent les flancs de la Montagne du Pic limitent l’expression des accidents tectoniques en surface. Ces derniers peuvent toutefois être déduits des alignements de cônes et/ou de leurs bouches éruptives. Outre les nombreux alignements qui convergent vers le sommet, trois systèmes tectoniques majeurs traversent le massif (cf., Marques et al., 2014 ; Madeira et al., 2015) :

        • La structure tectonique dominante est orientée N115°E: elle contrôle l’extension de la ride Pico-Faial, de l’île de Pico et de la Montagne du Pic. La cinématique des failles est à décrochement normal dextre. Ce système, parallèle au rift de Terceira, est l’expression des mouvements transextensifs responsables du trend des Açores.

        • Les accidents N150°E, conjugués des précédents, sont représentés par :

        (a) – L’alignement des bouches éruptives de l’éruption de 1718 : c’est la faille Lomba de Fogo – São João. Cet alignement pourrait se prolonger au Nord-Ouest jusqu’au Cabeço das Casas, éventuellement jusqu’au site de l’éruption de 1963 et totaliser une longueur d’environ 19 km;

        (b) – L’alignement Cabeço da Queimada – Cône 264 (flanc Nord-Est). Cette structure, à la cinématique décrochante normale sénestre, pourrait se poursuivre en direction du Sud-Est jusqu’au site de l’éruption de 1720 avec l’alignement Cabeço do Teicho – Cabeço do Fogo. L’extension totale de cette faille (la faille Santo António – Silveira) serait de 17,5 km. Les deux failles Lomba de Fogo – São João et Santo António – Silveira pourraient correspondre à un graben en voie de formation (Zanon et al., 2020).

        • Les accidents N060°E sont surtout présents sur le flanc Ouest avec plusieurs alignements de cônes (Cabeço Selado – Cabeço de João Homem, Cabeço Queimado – Cône 484, Lomba de São Mateus – fissure sommitale N060°E – Bico de Milhafre). Ces failles possèdent une cinématique à coulissement dextre. Elles seraient l’expression locale de failles transformantes du rift de Terceira et résulteraient du mouvement de rotation de la plaque Nubienne par rapport à la plaque Eurasiatique (Marques et al., 2014).

        

[La fin de cet article dans la revue LAVE n° 214]

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