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Article publié dans la revue LAVE N°179

L’ASCENSION (7°57 S, 14°22 O)
une île mystérieuse en Atlantique Sud
Carnet de route du 2 mars au 16 mars 2015

Luc & Élisabeth THOMAS

[ l’aventure, voilà bien un mot aux sens multiples. En premier lieu, on pense bien sûr à l’exploit physique ou à l’affrontement de toutes sortes de dangers, enfin à ces aventures que les média se plaisent à exploiter pour leur plus grand profit. C’est là oublier d’autres aventures, celles accessibles à tout un chacun, pour peu qu’il accepte de les tenter. C’est aller à la découverte d’horizons nouveaux pour lesquels la seule certitude que l’on ait, est qu’on n’en a aucune ! Ce sont celles-là qui nous font courir.
Notre nouvelle destination : l’île de l’ascension, dans l’atlantique Sud. Un petit point sur le planisphère sur le bleu de l’océan, juste en-dessous de l’équateur. Je pourrais écrire que le choix de cette île volcanique quasi inconnue de beaucoup est l’aboutissement de longues recherches sur le volcanisme de la faille médio-atlantique, le M.A.R. pour les initiés. Mais ce serait faire référence à un travail que nous n’avons jamais entrepris, et pour lequel nous n’avons pas les compétences. Non, cette nouvelle aventure, nous la devons plus simplement à un terrible mal de dos à l’été 2014 ! Dans la salle d’attente de mon ostéopathe habituel et ami, je feuillette rapidement et sans attention une revue de plongée.
À l’instant où il ouvre la porte, je lis un titre : « Île volcanique, atlantique ». trop tard pour en savoir plus. De moi-même, à tout hasard, je l’interroge, mais il n’en sait pas plus. il me propose alors d’emporter le magazine...
Ainsi a commencé cette aventure. ]

        

1.  Situation de l'île de l'Ascension

        

Objectif : l’Ascension

        L’île identifiée, les recherches commencent. La revue ne nous est pas d’une grande aide, traitant essentiellement de plongée à partir d’un voilier naviguant dans l’Atlantique Sud. De plus, elle date d’une dizaine d’années ! Rapidement, nous apprenons qu’il n’y a que peu d’années que l’île est «ouverte » pour de très courts séjours, à des voyageurs sans contrat de travail. La décision finale est du ressort discrétionnaire du Gouverneur, lequel en use avec une rigueur toute britannique. Il nous a fallu quatre bons mois de recherche et de tractations, avant d’obtenir les tant attendus sésames, les « Entry Permit » pour seulement neuf jours. Une des difficultés, et non des moindres, est la fiabilité aléatoire des communications, même par mails. Les deux derniers mois ont été occupés par la recherche de documents et l’organisation de la logistique pour rejoindre et revenir d’un aéroport de la RAF en Angleterre, en sachant que les horaires de l’avion militaire ne sont donnés qu’à titre indicatif, et peuvent être modifiés sans préavis ! Voilà comment nous nous sommes « embarqués » dans ce voyage où la banalité n’est pas de mise.

Jeudi 5 mars

        Il est huit heures du matin quand, après neuf heures de vol, l’avion de la RAF se pose. Un lambeau de nuages nous masque ce que nous identifions comme la Green Mountain, le point culminant de l’île (880 m). Nous ne sommes que quinze à nous arrêter là. Malgré notre faible nombre, les formalités d’entrée prennent un certain temps. En effet, le factionnaire, debout derrière son petit pupitre, commence par vérifier l’inscription de l’arrivant sur sa liste, puis passe consciencieusement en revue les différents documents obligatoires, avant d’apposer le tant attendu tampon sur le passeport. Bien que nous soyons dans un territoire britannique, donc de l’U.E., le passeport est ici obligatoire ! Trois petits kilomètres au travers d’une plaine de scories nous séparent de Georgetown, la capitale, une bien petite capitale, même un petit chef-lieu. Deux bâtiments en dur au charme désuet du style colonial anglais : l’un abrite le Gouvernement (traduire : l’administration) ; l’autre, ancien bâtiment de la Royal Navy, est occupé par des soupçons de magasin. Le reste est constitué de quelques constructions préfabriquées comme on en rencontre dans toutes les «bases vie » de chantier à travers le monde. C’est dans l’une d’elles que nous logeons.

Premier contact

        Nous nous présentons à la « Conservation » (le service de l’environnement) dès notre arrivée. Nous sommes accueillis par un Anglais d’une bonne quarantaine d’années qui nous dit ne pas être à même de la géologie mais nous remet quelques documents généraux et nous prodigue des conseils pour les visites à faire. Il nous explique qu’à partir du moment où nous avons un Entry permit, nous pouvons aller dans toute l’île librement !

        La volcanologue Anna Hicks nous avait recommandé d’aller à l’extrême Sud-Est dans la zone de letter Box. Avant le départ, nous faisons un passage par le « super-marché » pour faire quelques provisions. À l’intérieur, je me retrouve dans ces magasins de brousse où on ne va pas acheter quelque chose, mais où on achète ce qu’on y trouve. Quelques produits ont largement dépassé la limite de péremption, ils sont vendus à très bas prix. Le rayon du frais est particulièrement vide : il faut dire que le frais, comme la plupart des produits, arrive du Cap et passe par Sainte-Hélène. Il y a un bateau par mois, le prochain est pour dans dix jours...

2.  Carte de l'île de l'Ascension

L'île de l'Ascension

- Cette île volcanique est située dans l’océan Atlantique un peu en-dessous de l’équateur, à 1 600 km de la côte d’Afrique, 2 250 km de celle d’Amérique du Sud et à 1 300 km au Nord-Ouest de l’île de Sainte-Hélène. C’est un territoire britannique d’outre-mer géré par un Administrateur, sous l’autorité du Gouverneur de Sainte-Hélène dont dépend également Tristan Da Cunha. Comme à Montserrat, qui, elle, est une colonie, elle a une monnaie : la livre Sainte-Hélène, bien moins employée que la livre sterling, ou le dollar. Tout au long de l’année à Georgetown, la température oscille entre 22 et 24°C pour les minimales et 28 et 31°C pour les maximales, pour une pluviométrie annuelle de 140 mm. L’île a la forme d’un « triangle équilatéral à côtés inégaux », selon un texte scientifique anglais ! D’une superficie de 90 km2, elle culmine à 880 m. Sa population est d’environ 800 habitants, tous des résidents temporaires. Sur place, ni culture, ni architecture, ni artisanat, ni production agricole; aucune insécurité, les seuls « vols » sont ceux de l’avion deux fois par semaine ! Un conseil élu de l’île de sept membres élabore des lois propres, dans le respect des lois de Sainte-Hélène et du Royaume-Uni.

Première destination

        English Bay, la pointe nord-ouest. La route traverse de vastes champs de lave sombres et chaotiques, tout à fait inhospitaliers. Seules les multiples taches blanches des fientes d’oiseaux amenuisent un peu la tristesse du lieu. Dans cette plaine se trouve la plus belle collection d’antennes que je n’aie jamais vues. Il y en a de toutes sortes, des parapluies au bout de longs mats, des fils en cônes inversés, d’autres en filets et autres arrangements, des paraboles agencées comme des rangs de champignons, des coupoles fermées... À qui appartiennent-elles, à quoi servent-elles ? Nous ne le saurons jamais, à part celles du bout de la route qui retransmettent la BBC vers le Sud de l’Afrique et de l’Amérique. Le paradoxe est que l’île est pratiquement isolée du monde pour le téléphone et que les liaisons Internet sont aléatoires.

3.  Georgetown : le temple sur fond de cône strombolien, Cross Hill.

Deuxième destination

        L’ancienne station de la NASA. Elle fut utilisée à l’époque de la capsule Apollo dont elle suivait les évolutions et les révolutions. C’est le bout de la route en direction de la pointe sud-est ! Nous serpentons entre les cônes et les dômes en prenant de l’altitude. Plus on s’éloigne vers l’Est, plus le minéral disparaît sous un couvert végétal bas, plus ou moins dense. Le ciel aussi s’est obscurci. Le vent souffle assez fort et quand nous arrivons à l’ancienne base, le paysage joue à rideau fermé. Une rafale plus forte que les autres déchire un pan du voile, dégageant l’espace d’un instant, non pas un sein, mais un relief vraiment surprenant. Il attise notre curiosité.

4.  Paraboles tournées vers le ciel.

Vendredi 6 mars

        Avant de partir à la découverte, nous passons à la poste dans l’espoir de trouver de beaux timbres sur cette terre de volcans. Hélas, il n’y en a pas ! Des avions militaires, des tortues et des poissons, le jubilé de la Reine et le Titanic, mais de volcans point. Derrière quelques timbres d’avion, on entrevoit un cône. Il faut s’en contenter.

        Nous avons un topo-guide, destiné aux résidents, qui propose une trentaine de promenades découvertes avec au bout, dans une letter Box, un tampon qui permet de valider la balade. Oui, il s’agit bien de découvertes et non de randonnées au sens où on l’entend habituellement. En effet, le petit livre précise les points de départ et d’arrivée. Entre les deux, le plus souvent un pointillé indique une direction générale à interpréter, nous a-t-on précisé (le PPS, « Pif Positioning System», comme au Pérou). En général, il n’y a même pas de trace, les temps indiqués sont à prendre avec discernement, quant aux indices de difficulté…

        Dès la sortie de two Boats, la base-vie du centre, notre route Est/Nord-Est passe dans un étroit couloir entre deux puissants cônes de scories qui appartiennent au système des Sisters. Sur la gauche, le point culminant de l’ensemble à 445 m, avec sa couleur rouille ; sur la droite, une pente bordeaux foncé ; devant une plaine alluviale beige clair parsemée de Casuarinas plantés au début des années 80. Les deux cent cinquante arbres plantés, à trente mètres les uns des autres, ont fait des petits. Par chance, leur frondaison légère, gris vert, laisse une certaine transparence au couvert. Plus loin, la route étroite et manifestement peu fréquentée, longe puis traverse une vieille coulée de basalte aussi chaotique que celles que nous avons déjà vues. Cette coulée est venue butter sur une épaisse (plusieurs dizaines de mètres) coulée de trachyte qui s’est écoulée de la base de la Green Mountain. La paroi de la coulée est constituée de lave dense gris clair. Les blocs de surface, eux, sont constitués d’une fine « peau » (quelques millimètres) qui enveloppe d’énormes bulles qui peuvent dépasser cinquante centimètres de diamètre. Aidés par l’érosion, ces blocs forment un paysage sculptural du plus bel effet. Quand on la frappe, la trachyte sonne clair comme la phonolite dont elle est proche. Le bout de la route, c’est l’océan. Enfin presque, parce qu’il est une bonne vingtaine de mètres en dessous. De hautes falaises de basalte, noires de jais, nous en séparent. Sculptées par les vagues, elles abritent çà et là de minuscules et inaccessibles criques de sable… couleur sable ! Sur ce plateau, trois paraboles tournées vers le ciel et un petit bâtiment, sans allure, sur lequel est marqué ESA, Ariane. De là sont surveillées les évolutions de la fusée européenne. Vers le Nord, la vue s’étend jusqu’à English Bay et la station de la BBC. Vers le Sud, la coulée de trachyte s’arrête là !

        Il fait encore un peu jour et notre séjour est si court qu’il nous faut l’utiliser. Obsidian est le nom de l’hôtel, de la location de voiture, enfin de la société de service de l’île. D’où vient-elle ? On nous a indiqué un site dans le Sud, nous nous y rendons. Sur la piste qui mène à une installation à la fonction mystérieuse, nous trouvons quelques petits fragments de ce verre naturel, brisé par le travail des engins. Malgré nos recherches plus avant, au mépris des acacias qui nous agressent, nous sommes bredouilles quand la nuit nous rejoint.

        

5.  Sur cette plage, 300 tortues viennent chaque nuit.

Les tortues vertes

- Les tortues vertes, c’est leur nom (même si la couleur n’est pas évidente), pondent uniquement sur les quelques plages de l’Ascension, où elles sont nées. Ces tortues marines adultes pèsent entre 150 et 170 kilos. Elles vivent d’ordinaire sur la côte brésilienne et reviennent pondre ici, tous les trois ans ou plus. Elles pondent huit fois pendant leur séjour, à quinze jours d’intervalle. Les oeufs sont à chaque fois fécondés par des mâles différents. À la première ponte, elles libèrent une cinquantaine d’oeufs, puis de plus en plus, jusqu’à atteindre 150 oeufs environ à la dernière ponte. À la sortie de l’eau, elles se traînent sur le sable jusqu’à une zone qu’elles estiment à l’abri des vagues les plus violentes. Elles peuvent mettre un moment avant de trouver l’endroit le plus propice, en évitant les trous des collègues. Une fois le lieu choisi, avec leurs pattes, elles creusent un trou d’au moins 70 cm de profondeur, ce qui vue la taille de la bête, correspond à un bon volume de sable déplacé. Une fois la ponte terminée, elles recouvrent les oeufs de sable et s’en retournent en mer jusqu’à la nouvelle ponte. Le tout dure environ trois heures. 45 à 60 jours plus tard naissent les petits. Ils s’aident l’un l’autre pour sortir du sable, de préférence de nuit, pour éviter les oiseaux et autres prédateurs. Après un temps pour se remettre de leurs efforts, à leur tour, ils prennent le chemin de l’océan.

Samedi 7 mars

        L’occupation de l’île fête tout juste ses 200 ans cette année. C’est peu, mais assez pour justifier un musée ouvert uniquement de dix à douze heures le samedi matin et animé par un groupe de bénévoles sous l’impulsion d’un personnage haut en couleur que nous rencontrerons plus tard. Tous les aspects de l’île sont ici abordés : un peu de géologie et de minéralogie avec des échantillons de roches. Les tortues bien sûr, dont la vie n’a pas été toujours aussi facile que de nos jours. Comme elles peuvent rester six mois sans manger, c’était une aubaine pour les navigateurs qui en faisaient provision pour avoir de la viande fraîche pendant tout leur voyage. Leur chair était également appréciée à la cour et par les hauts dignitaires du royaume. Sont exposés les objets découverts et remontés d’une épave en 2001 qui valident l’histoire de Dampier, ce marin de retour d’Australie en 1701 et qui a fait naufrage à l’Ascension. Sont évoquées l’épopée des premières communications à longue distance, en morse, par câbles télégraphiques sous marins ; l’épopée américaine de la seconde guerre mondiale et de la base aérienne, devenue tête de pont de la reconquête de l’Afrique et enfin les heures chaudes de la guerre des Falkland (Malouines). Derrière cela, le désir secret de quelques-uns de donner une âme à cette île qui n’est pour la plupart qu’une case de passage.

6.  Improbables sculptures de dacite ; en arrière-plan, on devine sur la pente un des rares dykes de l’île.

7.  Devil’s Riding School : une accumulation de dépôts a rempli le cratère.

        L’après-midi nous a rattrapés quand nous quittons Georgetown. Au musée, une photo panoramique, jaunie et pâlie, nous a intrigués, tout comme l’avait fait le nom de ce cratère quand je l’avais découvert sur la carte géologique : Devil’s Riding School, le « manège-école du Diable ». Il n’est pas loin, juste après le camp américain, le long de la piste (mais rien n’est loin sur une île de 9 km de diamètre !). Une borne maçonnée indique le départ d’un sentier. Pour la suite, il suffit d’interpréter !... C’est une butte de trachyte d’une centaine de mètres de haut. Nous revoilà dans ces laves creuses et musicales que l’érosion a agencées comme des sculptures défiant les lois de la mécanique.

Géologie

– Géologiquement, l’île de l’Ascension est située à 80 km à l’ouest de l’axe du rift médio-Atlantique (M.A.R.), et à 50 km au sud de la zone de fracture de l’Ascension, la première fracture latérale au Sud de l’Équateur. L’île est la partie émergée d’un grand volcan de 3 880 mètres de haut, dont la base, par 3 000 m de fond, mesure 50 km de diamètre (à peu de chose près, les mensurations de l’Etna). La partie émergée, si on l’assimile à un cercle de 10 km de diamètre, et qui culmine à 880 m, représente à peine 1 % du volume total (Harris, 1883). La croûte océanique sur laquelle repose l’édifice est datée de 5 à 6 Ma. L’origine du volcan serait : soit un point chaud, deux monts sous-marins, à 300 et 610 km à l’Ouest, pourraient y être liés, soit un point chaud à 300 km au Sud (Brozena, 1986), sur la plaque Afrique dont le flux serait dévié par le rift médio-Atlantique et la faille de l’Ascension, soit encore serait-il lié à un volcanisme d’intersection de failles transformantes. La question reste posée.
– La surface de l’Ascension montre une série de laves allant de basaltes basiques à des trachytes et des rhyolites. Environ 80 % de la surface est occupée par plus de 40 cônes et des coulées basaltiques. Le reste, essentiellement la base sud de la Green Mountain, et la partie sud-ouest, est constitué de dômes et de cratères d’explosion à laves acides. Ces laves ne seraient présentes que depuis l’apparition au-dessus de l’océan (Nielson et Stiger, 1996). Leur origine pourrait être le résultat d’une différenciation magmatique dans la chambre, contaminée par des infiltrations d’eau de mer. La formation d’une caldeira dans cette partie de l’île, et les fissures provoquées pourraient en être la cause. Son histoire géologique en est toutefois aux balbutiements...

8.  Carte Géologique de l'île de L'Ascension

Dimanche 8 mars

        Notre objectif aujourd’hui est Devil’s Crater et le dôme voisin de Weather post. Peu avant les installations abandonnées de la NASA, la piste 4x4 longe la base de la Green Mountain. Nous sommes au Sud-Est de l’île, le ciel est plombé. Le terrain fait de scories et cendres cimentées est abondamment couvert par la végétation. C’est le royaume des crabes de terre et des lapins. Après une forêt de conifères plantée par les Américains, et qui ont bien profité, la piste devient un sentier, l’environnement se dégage enfin. Sans nous en apercevoir, nous avons contourné Cricket Valley, une vaste dépression allongée, aux parois verticales et au fond parfaitement plat. Elle est interprétée comme un cratère d’explosion phréatique. Le sentier progresse ensuite le long d’une large crête, de là la vue s’étend à gauche, jusqu’à voir maintenant la bien connue English Bay et à droite les bâtiments de la NASA sur un vieil édifice strombolien. Devant nous, nos deux objectifs nous narguent. Ils sont à portée de main, mais il nous faut redescendre une pente raide et caillouteuse avant de commencer à les gravir ! En remontant sur la pente de Devil’s Crater, un cratère d’explosion de trachyte, nous trouvons en bonne quantité de petits morceaux d’obsidienne. Ils ont la particularité d’être tous abondamment fendillés comme le verre sécurit ; peut-être ont-ils subi un refroidissement rapide. Le cratère en lui-même est assez décevant. Ses pentes sont érodées et en partie envahies par la végétation. Seule sa vue présente un intérêt. Elle est imprenable sur les Sisters qui dominent, de leurs 445 m, la partie la plus jeune de l’île, une vaste plaine parsemée de cônes de toutes tailles. L’un d’entre eux, proche de la BBC, nous interpelle par son relief particulier. Nous l’identifions comme étant le Broken tooth. Une bonne centaine de mètres nous sépare encore du sommet de Weather post, le dôme de trachyte sur lequel est appuyé Devil’s Crater. La montée, bien que raide, n’est pas difficile. Le sommet est relativement plat, mais malheureusement encombré de cyprès des Bermudes plantés en 1882. Il nous faut nous frayer un chemin au hasard entre eux pour essayer de faire le tour et trouver quelques points de vue. Certains vieux arbres, torturés et majestueux, forcent l’admiration. Letter Box, cachée par White horse hill, est une nouvelle fois invisible. Par contre, nous avons une vue plongeante sur Boatswain island, les restes d’un dôme de rhyolite, un plateau blanc, perdu en mer à quelques encablures des falaises à nos pieds. C’est un sanctuaire pour les oiseaux.

Les yeux du Diable

Devil’s Riding School est un dôme de trachyte vieux de 600 000 ans. Gill en 1878 et Ellis en 1885 font état de petits cônes de boue, de un à deux pieds de haut, dans la dépression centrale, qui pourraient faire penser à une possible activité fumerolienne. Mais ni Darwin en 1836 ni Daly en 1921 n’ont constaté ces phénomènes qui, depuis, ne sont pas réapparus. Darwin, dans son rapport écrit que la dépression du sommet, d’un demi-mile de diamètre « a été bientôt remplie par une succession de chutes de cendres et de scories, de différentes couleurs... Formant des anneaux de couleurs variées, et donnant à la montagne une apparence fantastique. L’anneau extérieur est large, et de couleur blanche, il ressemble donc à un manège dans lequel s’entraineraient des chevaux. » À propos des « yeux du Diable », Darwin écrit : « une des couches... de fragments de ponce décomposés, est remarquable par le nombre de concrétions qu’elle contient. Elles sont généralement sphériques, d’un demi pouce à trois pouces de diamètre... Elles sont divisées en couches concentriques par de fines séparations blanches... Six ou huit de ces couches sont bien visibles près de la surface... Je présume que ces couches concentriques ont été formées par le rétrécissement de la concrétion, alors qu’elle devenait compacte. »

9.  Devil’s Riding School

        Ce soir, ça fait quatre jours que nous sommes sur cette île tant attendue, presque la moitié de notre séjour, et il faut bien l’avouer, rien ne nous a encore emballés, il n’y a pas eu de déclic. Peut-être ne se livre-t-elle pas comme çà, au premier contact !

        Avant de prendre le chemin du retour, nous profitons d’une lumière favorable pour pousser jusqu’à la NASA, avec un espoir... Comme un joyau au milieu de son écrin, Letter Box, ou plutôt la zone de Letter Box, étale ses formes et ses couleurs en contre bas. Rien à voir avec le fragment de parois que nous avions découvert le premier jour et qui n’est qu’une pente de White horse hill que longe la piste. Nous admirons là un ensemble complexe de formations volcaniques resplendissant de couleurs vives, brique, noir. C’est un régal pour les yeux, un grand point d’interrogation pour l’interprétation, surtout à cette distance. Au tant dire que la décision est prise, il nous faut arriver à nous rapprocher. Voilà ce que nous attendions encore il y a si peu de temps.

10.  Boatswain, l’île des oiseaux.

11.  Letter Box et sa coulée de benmoréite.

Lundi 9 mars

        Les Sisters au centre, un groupe à l’Est que nous avons aperçu du côté d’Ariane et les différents édifices au Sud qui entourent l’aéroport forment trois ensembles de cônes stromboliens et de coulées basaltiques associées. Ils se disputent l’un l’autre le privilège d’être le plus récent, sans qu’il soit aujourd’hui encore possible de les départager. C’est vers le Sud que nos pas nous mènent ce matin.

        Arrivé à l’océan, le sentier, pour une fois bien tracé, oblique pour entamer la traversée de la coulée. Comme toutes les coulées que nous avons vues ici, celle-ci est faite de gros blocs informes entre lesquels il faut slalomer. La couleur sombre des laves qui emmagasinent la chaleur, et pour une fois l’absence d’air, rendent la progression inconfortable.

        Même les milliers d’oiseaux nous ont laissés à notre bravade. Trois quart d’heure plus loin, la coulée n’est pas traversée, mais nous atteignons notre but : Shelly Beach. Oh surprise ! Cette plage n’est pas de sable doré comme les autres, ni même noire comme on peut s’y attendre sur une île volcanique, mais de boules de la grosseur d’une balle de golf, des boules de corail ! À l’extrémité Est de la plage, la coulée renferme quelques mares d’eau salée, dans lesquelles vivent deux espèces de crevettes si petites qu’elles sont difficiles à distinguer. Sur le fond des mares prospèrent de petits coraux jaunes et blancs et de curieuses algues sphériques qui font penser à de grosses billes de gélatine verte ou encore à des «boulets » de verre, comme ceux que nous nous échangions dans nos jeux de bille à l’école primaire.

        Dans l’après-midi, nous repartons vers le Nord, au pied des Sisters. Bat Cave, « la grotte aux chauves-souris », est présentée comme une « fumerolle ». Le fait me surprend d’autant plus que sur le document de géologie que nous avons, il est précisé qu’il n’y a pas de fumerolle active ou non sur l’île. Rien de tel pour exciter notre curiosité. Le topo-guide donne un certain nombre de reliefs qui aident à s’orienter ; heureusement car le cheminement proposé est à interpréter. Au départ, la marche est aisée entre les reliefs d’une ancienne coulée qui dépasse d’un épais tapis de scories noires. L’après-midi s’avance et le soleil est plus clément. L’orientation générale n’est pas bonne du tout, nous longeons une masse de lave qui nous barre le chemin et nous masque la vue. Quelques centaines de mètres, et nous voilà rassurés et... ravis !

12.  À l’ascension, les coulées de lave sont plus inhospitalières les unes que les autres !

        Devant nous, d’imposantes parois gris clair, blocs hiératiques, vestiges de dômes de trachyte, sont ensachées dans d’épaisses couches de scories noires, lesquelles se détachent sur la couleur brique des majestueux cônes des Sisters. Sur la droite, quelques rares buissons solitaires, d’un vert éclatant, tranchent sur des buttes sombres aux courbes douces et sensuelles. Quel spectacle ! Nous devons contourner cette muraille, d’abord en la longeant au pied puis en gravissant le creux au contact d’un côté des scories noires et de l’autre d’une pente de scories briques. Je dirais que marcher dans un tel paysage donne des ailes mais ce doit être vrai car les pentes nous paraissent bien moins fortes qu’elles ne le sont.

13.  au premier plan, vestiges d’un dôme de trachyte ; en arrière-plan, les Sisters.

14.  le rouge et le noir.

        Arrivés sur une sorte de plateau vallonné, nous « jardinons » un peu avant de découvrir, au sol, une grande flèche faite de petits blocs de lave. C’est simple : il suffit d’aller de l’avant dans la direction indiquée... sans autre repère que celui laissé derrière ! Deux buttes plus loin, notre persévérance est récompensée. Une vallée assez large se déroule une cinquantaine de mètres en contrebas. De l’autre côté, un peu en amont, se détache le profil caractéristique d’un hornito.

        Laissant le sac sur place, nous accélérons le pas pour atteindre notre but car nous avons un rendez-vous à 18 heures ! Il s’agit bien, comme je le pressentais, de spatter cones, des cheminées de laves soudées les unes aux autres comme on en trouve soit sur des sources de lave, soit du fait de dégazage, en pseudo éruption, sur une coulée. Dans notre cas, c’est en fait deux cheminées accolées et une, isolée, à une quinzaine de mètres, qui font penser à des sources de lave sur une éruption fissurale. Le puits de la cheminée la plus haute est équipé de deux cordes et d’une échelle en aluminium dont le premier barreau est à deux mètres de la surface ! Même si un casque est là à disposition, nous ne tentons pas l’aventure.

        Renseignements pris plus tard ce sont les scouts, une organisation apparemment assez dynamique ici, qui ont réalisé l’aménagement. Quant aux chauves-souris, ce sont deux chauves-souris en caoutchouc qu’ils y ont accroché !

        Anna Hicks nous a recommandé de rencontrer Drew Avery, nous le retrouvons au musée. Comme nous lui demandons s’il y a des moyens de surveillance du volcan, il nous dit penser qu’il y en a, mais lesquels ? Où ? Ici, chacun travaille pour soi, dans son job, pour son patron en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, mais il n’y a aucun contact sur place. Nous avons vu dans le musée que, de 1983 à 2002, le stockage des hydrocarbures était assuré par un pétrolier ancré au large, et que ce navire pouvait servir à l’évacuation de la population en cas d’éruption volcanique. Depuis 2002, le stockage se fait à terre. Y-a-t-il un plan d’évacuation de remplacement ? Bien sûr, répond-il ! Mais personne ne le connaît. On parle de l’avion, mais il faut 9 heures pour qu’un avion arrive d’Angleterre (sans compter qu’il faut deux heures pour refaire le plein et deux ou trois avions pour évacuer la population, si les cendres le permettent).

        

15.  au premier plan, une des « fumerolles », en fait un hornito.

Mardi 10 mars

        Depuis notre arrivée, elles nous narguent, les Sisters ! Elles sont notre but aujourd’hui. C’est un ensemble de plusieurs cônes stromboliens qui se sont mis en place à une période récente mais avec pour seule certitude qu’elle est antérieure à 1815. Deux cratères accolés forment la partie la plus élevée. Le sentier est là, bien marqué. Il est certainement le plus utilisé, avec ceux de la Green Mountain : les hommes aiment les positions élevées et s’y mesurent !

        Contrairement aux apparences, l’ascension ne se fait pas dans des scories mais des éboulis de petits blocs instables qui aiment à se dérober sous les pas. La première pente est raide, d’autant qu’elle nous saisit à froid. Du haut, la vue est imprenable sur perfect Crater, un cratère vraiment parfait, comme on le trouve dans les livres. Malheureusement, il est attaqué par la végétation, et on peut se demander ce que verront les visiteurs dans une dizaine d’années. Après une courte descente, la pente repart de plus belle, encore plus instable. Heureusement, le paysage qui s’élargit à chaque pas nous permet de justifier des pauses. Encore un effort et nous voilà arrivés sur la lèvre d’un cratère largement égueulé vers le Nord, Nord-Ouest. Le vent nous a rattrapés et nous fouette allégrement. Il ne nous reste plus qu’une bonne grimpette pour atteindre le sommet à 445 m. Nous la gravissons hardiment, assurés de ne pas être déçus. Et nous ne le sommes pas, déçus ! De là-haut, la vue s’étend sur les trois quarts de l’île, sur une bonne trentaine d’édifices, sur les coulées, la côte, les installations humaines...

        Même la Green Mountain, pour l’occasion, nous montre ses hauteurs dégagées. Nous connaissons assez de points maintenant, pour les reconnaître, les placer les uns par rapport aux autres comme nous le ferions sur une gigantesque carte en relief. Nous repérons les hornitos où nous avons été hier, et dans leur alignement, comme le laissait supposer la carte géologique, un affleurement qui pourrait être les lèvres d’une fissure. Nous profitons aussi de notre position pour étudier le trajet pour atteindre Broken tooth où nous irons demain.

        Après la bonne grimpette de ce matin, nous décidons de faire une marche à plat : retour à la Green Mountain, toujours bien dégagée. Elliot’s path est un large chemin résolument plat qui fait le tour des deux sommets de l’île, Little peak et the peak. Il fallait quand même avoir de l’imagination pour trouver des noms pareils !

        Ce chemin, nous le devons à Napoléon. Ou plus exactement à la Royal Navy qui, de ce chemin de ronde, pouvait surveiller la totalité de la côte et empêcher le débarquement de Français désireux de sauver leur empereur. C’est un beau travail de génie civil fait par des militaires. Tracé à flanc de pentes raides, il a fallu par endroits creuser des tunnels dans les tufs volcaniques consolidés. Un ouvrage qui a bien résisté à l’usure du temps. Malheureusement, depuis 1815, la Green Mountain mérite de plus en plus son nom et on évolue souvent dans de longs tunnels de végétation serrée qui interdit toute vue.

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IV.  les cônes de la partie ouest de l’île.

V.  la plaine orientale depuis les Sisters.

VI.  De gauche à droite : Weather Post, White Horse, Little White Hill et derrière, Letter Box.

Mercredi 11 mars

        Aujourd’hui, c’est le « jour du dentiste », destination : Broken Tooth et Hollow Tooth, aussi appelé Holland (toute ressemblance avec un personnage connu serait purement fortuite !). Nous avons repéré hier la topographie des lieux et c’est tant mieux car sur place il n’y a strictement aucune indication ni aucune trace. Heureusement, les deux cônes que nous voulons atteindre sont les plus hauts et donc très souvent visibles au long de notre progression. La coulée sur laquelle nous évoluons, bien qu’ancienne, est postérieure au petit cône qui nous fait face et sur lequel elle est venue buter. Nous n’avons pas heureusement l’intention de le gravir car l’érosion a fait son effet en creusant dans la base de scories un profond chenal qu’il nous faudrait traverser. De place en place, nous montons des cairns pour le retour. La coulée des Sisters, (une des coulées) et peut-être la plus récente de l’île, est maintenant devant nous. Elle encercle Broken Tooth dont elle nous sé pare. La branche que nous longeons a entièrement rempli l’espace entre Broken et Hollow Tooth, comme un cure-dents géant.

16.  Broken Tooth et sa magnifique coulée de débordement sur laquelle butte la dernière coulée des Sisters.

        Holland est le résultat d’une importante fontaine de laves de benmoréite, un fer à cheval ouvert vers l’océan proche. L’échancrure est occupée par une petite coulée. En parcourant les flancs de la « dent », le sol n’est fait que de lambeaux de lave soudés à chaud et de bombes plus ou moins enroulées, vrillées, torsadées, écrasées, dont certaines mesurent plusieurs mètres. Un spectacle qui devait être aussi dantesque que féérique !

17.  Les bombes nombreuses et de toutes tailles avec leur surface toujours craquelée.

        De l’autre côté, la vue sur Broken Tooth est aussi saisissante. Cet imposant cône également de benmoréite, légèrement égueulé dans sa partie supérieure est face à nous. Par cette brèche, une puissante coulée s’est échappée du cratère et a dévalé la pente raide. Là encore, le spectacle a dû être de toute beauté. Il en reste un relief en « cas d’école », comme on peut en voir en gravure dans les livres : au centre, le chenal ; sur les côtés, les remparts solidifiés, témoins de l’histoire de l’épanchement.

        Dans tout ça, nous n’avons toujours pas trouvé de passage dans la coulée des Sisters. Épaisse de cinq à six mètres, elle est la plus inhospitalière que nous ayons rencontrée ici, et ce n’est pas peu dire. On a peine à croire qu’elle ait pu s’écouler liquide. Elle n’est qu’une accumulation désordonnée, anarchique, de blocs anguleux de différentes tailles. Les plus grands sont plurimétriques. Entre eux, de profondes crevasses qu’il faut enjamber semblent attendre le moindre faux pas, des bas-fonds dans lesquels il faut descendre puis remonter. Je fais plusieurs tentatives infructueuses. En désespoir de cause, nous remontons le bord de coulée à la recherche d’un signe, d’un repère. Nous le trouvons enfin bien caché dans une sorte de « crique », au sol une flèche. C’est là !

        Plus tard, sur le chemin du retour, nous faisons une pause. Tout n’est que minéral. Face à nous, le cratère principal des Sisters avec, à mi-pente, l’imposante coulée qui nous a barré la route et recouvert une grande partie du Nord-Ouest de l’île.

        À sa naissance, perfect Crater à gauche et Sisters red Hill, le troisième cratère de l’ensemble, un peu à droite, semblent veiller sur elle. La chaleur des couleurs, la souplesse et l’élégance des courbes, la rigueur, l’inexorabilité passée de la coulée, touchent à la fois l’esthétique et l’émotionnel. Difficile de s’en écarter mais il ne nous reste que deux jours pleins ici. Il n’est pas temps de se laisser aller à la rêverie, aussi agréable soit-elle.

18.  appuyé au flanc des grandes soeurs, Perfect Crater mérite bien son nom.

Jeudi 12 mars

        De passage au bureau de l’hôtel, nous apprenons que « l’avion » du matin ne redécollera qu’avec 24 heures de retard, pour les Falkland, en raison de mauvaises conditions météo en route. De fait, notre départ du vendredi est reporté au samedi. J’écris « l’avion » et non pas le vol AF 423, ou 747 pour Sydney, car ici « l’avion », comme à l’époque de l’Aéropostale, ou comme je l’ai connu en brousse en Afrique, n’est pas banalisé : c’est une personne morale, certes, mais qui fait partie intégrante du cercle social, presque de la famille.

        À 10 heures, nous retrouvons Stedson à Green Mountain, son fief puisqu’il est ranger au Parc National de Green Mountain : un homme de terrain qui travaillait sur le bateau reliant une fois par an Le Cap à Tristan Da Cunha et Sainte-Hélène. Il y a quelques années, il a accompagné un volcanologue américain qui a émis l’idée que cette fameuse coulée noire de jais de Letter Box qui m’intrigue tant pourrait s’être mise en place après l’occupation de l’île, après 1815. En effet, la situation à l’extrême Sud-Est, derrière le massif imposant de la Green Mountain, mais aussi des dômes de Weather post et de White Horse Hill, tout comme le faible nombre de voies de communication au XIXe siècle, font qu’une éruption sans grande manifestation explosive peut très bien ne pas avoir été soupçonnée par les habitants de Georgetown.

        Parlant de Tristan Da Cunha, cette autre île du rift médio-Atlantique, il nous apprend que le pasteur y a séjourné et nous prend un rendez-vous avec lui. Dans l’après-midi, nous rencontrons le pasteur et sa femme, un couple de gens âgés. Ils ont vécu trois ans à Tristan Da Cunha puis fait deux séjours de quelques mois chacun, le dernier en 2009. Ils ont adoré cette île si particulière, et pourtant si semblable à l’Ascension, si isolée : là, c’est un bateau tous les trois mois, quand il vient !

        Tristan Da Cunha, c’est pour nous le livre d’Hervé Bazin, « Les bienheureux de la désolation », où le romancier, pour une fois, se fait journaliste. Il raconte l’extraordinaire aventure de cette population qui vivait en autarcie sur ce caillou volcanique de l’Atlantique Sud proche des 40e rugissants. Chassée de l’île en 1961 par une éruption volcanique, elle s’est retrouvée plongée dans la modernité de la mère patrie britannique. Victimes de maladies inconnues d’eux, inadaptés à la vie impersonnelle de nos métropoles, la plupart des insulaires sont rentrés sur leur île dès 1963. C’est cette nouvelle société, d’environ 300 personnes, sept familles, à la fois fermée sur elle-même et ouverte sur le monde traditionnel, mais qui a rencontré le modernisme, que nos hôtes ont côtoyée.

19.  Timbres de la collection de Sylvain Blais.

Vendredi 13 mars

        C’est notre dernier jour complet pour ce voyage, et un vendredi 13 qui plus est ! Notre dernière chance de nous approcher de Letter Box ! Plus on a essayé de nous dissuader d’y aller, plus l’envie nous en est venue. Bien sûr, nous avons la sensation d’avoir fait le maximum pour nous faire une idée de cette île mais partir sans avoir tout tenté pour découvrir la pointe Sud-Est nous est paru chaque jour plus impensable ! Lever, 5 h 30. Une heure plus tard, nous voilà à pied d’oeuvre.

        La piste continue à flanc de pente du dôme de Weather post, bientôt barrée par une lourde grille cadenassée par la Conservation, la seule de l’Ascension. Mais qu’y a-t-il donc de si secret ? Encore une centaine de mètres et une étroite arête entre deux pentes presque vertigineuses, elle nous amène sur le flanc d’un nouveau dôme de trachyte, White Horse Hill. L’érosion y a creusé de profondes entailles, comme autant de coups de griffe qui viennent mourir dans le vallon que nous suivons. De l’autre côté, les formes douces d’une pente de scories mettent en valeur les sculptures fantastiques de ces laves creuses et sonores qui chantent sous nos pas. Plus loin la pente se fait raide, voire très raide. Un important effondrement de l’édifice laisse alors apparaître un soubassement de rhyolite avec des fragments d’obsidienne. Encore un virage, et tout change. Quelle récompense !

        Sur notre gauche, toujours la haute pente blanche et gris clair de White Horse Hill. En fond, le plateau légèrement incliné vers nous, résultat de l’érosion d’un vieux dôme de rhyolite, c’est Letter Box lui-même. Dessus, une coulée noire de jais, aux multiples ramifications, disparaît dans une dépression. Devant, une barre allongée de scories rouges, nous cache la base de Little White Hill, un petit dôme blanc. Comme nous atteignons la barrière de scories, la piste passe entre celle-ci et un petit cratère qui nous avait échappé jusque-là. Il est constitué de petits blocs sans bulles, aux faces anguleuses et aux arêtes vives, noir de jais : de la benmoréite comme la coulée du plateau. À cet endroit, les projections ont recouvert les scories. Installés sur la crête, avec le soleil qui monte au ciel, et la lumière qui se fait plus franche, nous sommes au coeur de ce paysage qui nous était si mystérieux. Dire que nous saisissons son histoire serait mentir, mais nous comprenons ses reliefs. Nous sommes assis sur la lèvre du large cratère d’un cône strombolien bas, vraisemblablement de lave basique. Au centre du cratère a poussé un dôme de lave acide, Little White Hill. Une dépression sépare cet ensemble du plateau de Letter Box. On peut imaginer que, comme Boatswain Bird island à laquelle il ressemble, il n’a été relié à la terre ferme qu’au cours des temps. Quant à la coulée, elle est issue d’une longue fissure qui la traverse, recoupe la dépression et se termine par le cône qui nous jouxte.

        Avant cette piste, construite il y a seulement trois ans, avant la route de la NASA, ouverte au début des années soixante, avant la construction de la piste d’atterrissage et l’arrivée des avions en 1941, avant tout cela, la vie sur l’île se réduisait à l’occupation de Georgetown, de la pointe Nord-Ouest et de la Green Mountain. Points d’où il est impossible de voir Letter Box et une éventuelle éruption essentiellement effusive ! Y-a-t-il eu une éruption de benmoréite entre 1815 et 1941 ?

        

20.  Letter Box.

Samedi 14 mars

        Nous voilà dans les prolongations. Dès le matin, nous bouclons les sacs. Nous avons loué un Ford ranger, pick up double cabine 4x4. Une sacrée bête... en apparence ! Notre objectif : mettre à profit ces quelques heures de bonus pour explorer les embryons de pistes que nous avons laissées, et survoler de nouveau les paysages qui nous ont le plus marqués. Du côté de la NASA, nous explorons plusieurs pistes ; l’une d’elles nous offre un point de vue sur Ariane et nous permet de faire la liaison oculaire entre le Sud-Est et le Nord. Puis, nous retournons sur le bas des Sisters mais c’est trop rapidement la fin de la balade.

        Au décollage, il fait encore jour. Par chance, nous sommes côté hublot gauche. C’est un détail important car l’avion décolle face à l’alizé Sud. Le temps de contourner l’île, il se stabilise à 1 500 m d’altitude et nous survolons alors Letter Box sur lequel nous avons un regard nouveau, avec en particulier la coulée qui se jette en mer.

21.  Survol de Letter Box.

Post-scriptum

        Voilà un voyage bien court, trop court ! En ces neuf jours et demi, nous avons essayé de faire un maximum. Après une période d’apprivoisement, il nous a fallu mettre les bouchées doubles, au risque de survoler certains aspects. Il nous a manqué le temps de réflexion et le temps de digestion pour revenir sur certains points, les approfondir, le temps de rencontrer des individus d’une colonie qui ne se livre pas comme ça.

        C’est avec un peu de regret que nous avons quitté cette île si particulière et si attachante, tant du côté physique que du côté humain. Point stratégique, en dehors de tout circuit, avec un risque volcanique présent, nous n’avons fait qu’un arrêt sur image dans le long film qu’est l’histoire de l’Ascension. Comment évoluera-telle ? Quel est son avenir ? Dans tous les cas, la découverte a été totale, et combien enrichissante.

Quelques dates de l’histoire humaine d’Ascension

1501 : découverte par le navigateur portugais, João da Nova ; redécouverte en 1503 le jour de l’Ascension.
1815 : Napoléon à Sainte-Hélène, les Anglais installent une garnison, début de l’occupation permanente.
1836 : visite de Charles Darwin sur le Beagle. Il réalise la première étude géologique.
1922 : le service de radio-télégraphe prend l’administration de l’île.
1942 : construction par les États-Unis d’une base aérienne de 4 000 hommes pour la reconquête de l’Afrique.
1947 : départ des Américains. Il ne reste que 170 résidents.
1961 : arrivée de la BBC.
1966 : arrivée de la NASA avec le programme Apollo.
1982/83 : la guerre des Falkland (Malouines). Installation d’une base militaire anglaise.
1988 : étude géologique par Barry Weaver (Oklahoma).
1990 : la NASA quitte l’île mais le programme Européen Ariane se met en place. Ouverture de l’hôtel.
2015 : notre voyage, qui restera dans notre histoire !

22.  Timbre de l'île de L'Ascension

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