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Article publié dans la revue LAVE N°214

Une aventure au Kamtchatka
Etude des dynamiques des magmas avant des éruptions récentes des volcans Kizimen et Bezymianny

Léa OSTORERO

post-doctorante à l’université de Milan-Bicocca (Italie)

[ Cette aventure au Kamtchatka a débuté avec ma thèse que j’ai initiée en 2019 à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP –Université Paris Cité, France) et terminée en décembre 2022. Celle-ci portait sur les dynamiques des magmas avant des éruptions explosives sur plusieurs volcans dans le monde, dont deux volcans situés au Kamtchatka (Russie).]

        

Où se trouve le Kamtchatka ?

        Située à l’extrémité Est de la Russie, la région du Kamtchatka fait partie de la ride de feu du Pacifique, qui est une longue chaîne de 40 000 km de long avec plus de 450 volcans actifs produisant des éruptions explosives et effusives, ainsi que des volcans dormants ( Eichelberger et al., 2007 ). La péninsule du Kamtchatka se situe au-dessus de la marge Nord-Ouest de la plaque Pacifique plongeant à une vitesse de ~ 8 cm/an ( DeMets, 1992 ) ( figure 1 ).

        L’activité volcanique récente au Kamtchatka se concentre au niveau des centres volcaniques actifs du Klyuchevskoy et du Shiveluch dans la zone de la Dépression Centrale du Kamtchatka ( Central Kamtchatka Depression ou CKD ) ( Ponomareva et al., 2007 ), où la plus grosse production magmatique est enregistrée ( figures 1b, photos 1 et 2 ). Le Kizimen et le Bezymianny, principaux volcans d’intérêt lors de ma thèse, sont situés au niveau de cette zone.

        L’observation de ces deux volcans est maintenant opérée par la branche géophysique des Sciences du Kamtchatka ( Académie Russe des Sciences ), à travers un réseau de stations sismiques permanentes, mais aussi par des études des déformations par stations GPS et des études géodésiques ( Interferometric synthetic aperture radar (InSAR), images de webcam...).

        

Figure 1.  Localisation du Kamchatka.

a) Globe terrestre montrant la péninsule du Kamchatka ( crédit : Google Earth V 7.3.6.9345; Décembre 2022. Kamchatka, 56° 7.951’N, 159° 31.844’E, view from space, altitude 12 500 km. Image Landsat/Copernicus. Data SIO, NOAA, U.S. Navy, NGA, GEBCO. Image IBCAO. [5 Septembre 2023] ).
b) Image du modèle numérique de terrain de l’Arctique ( ArticDEM ) montrant la péninsule du Kamchatka et les principaux volcans actifs durant l’Holocène, dont le Kizimen et le Bezymianny, volcans de notre étude (échelle de gris de l’ArcGIS Living Atlas of the World) (généré par Esri Imagery, avec l’aimable autorisation du Polar Geospatial Center ; https://livingatlas2.arcgis.com/arcticdemexplorer/) et modifiée en fonction d'autres études (Portnyagin and Manea 2008 ; Viccaro et al. 2012 ; Ostorero et al. 2022).

Pourquoi s’intéresser aux dynamiques des magmas ?

        Environ 800 millions de personnes vivent à moins de 100 km d’un volcan, d’où la nécessité d’observer ces volcans ( United Nations 2015; Pankhurst et al., 2018 ). De plus, d’après une étude récente, les éruptions volcaniques à grande échelle ont cent fois plus de probabilité de se produire que les impacts d’astéroïdes et de comètes au cours du siècle prochain ( Trilling et al., 2017 ). Comme le monde n’est pas préparé aux éruptions de fortes magnitudes, il est crucial de mieux connaître l’histoire des magmas et leurs dynamiques avant des éruptions volcaniques ( Cassidy and Mani, 2022 ).

        La surveillance sismique des volcans est le moyen le plus répandu pour détecter et suivre les crises éruptives, par l’augmentation du nombre et de l’intensité des séismes ( suivis en temps réels par des observatoires volcanologiques, comme celui de l’Observatoire Volcanologique du Piton de la Fournaise, à La Réunion ( Institut de physique du globe de Paris 2023 )).

        Le comportement volcanique précédent et les processus pré-éruptifs des éruptions passées d’un volcan représentent un guide précieux pour comprendre le comportement futur d’un volcan. Ainsi, les cristaux et les liquides magmatiques émis par ces volcans sont étudiés ( Pankhurst et al., 2018 ).

        Ces échelles de temps des processus magmatiques menant aux éruptions volcaniques ( étudiées sur des éruptions passées ) peuvent être comparées à des signaux géophysiques ou géochimiques détectés en temps réels sur le terrain avant les éruptions, pour voir s’ils opèrent sur une même échelle temporelle ( Saunders et al., 2012 ; Pankhurst et al., 2018 ; Costa et al., 2020 ; Ostorero et al., 2022 ; Kahl et al., 2023 ) ( figure 2 ). L’observation en surface de ces signaux de réactivation, qu’ils soient géophysiques ou géochimiques, couplés à l’étude des cristaux sur des éruptions passées pourrait donner une indication du temps restant avant une éruption, la question du temps étant une problématique essentielle en volcanologie et en surveillance volcanique ( Ostorero, 2022 ).

Les cristaux: horloges pétrologiques

        Différents modèles permettent d’expliquer les systèmes de stockage des magmas; ceux-ci peuvent être distribués dans toute la croûte sous la forme de lentilles de magma pouvant être connectées ou non, et entourés de liquide magmatique et de cristaux dans des proportions variables : c’est ce qu’on appelle le mush magmatique ( Bachmann and Bergantz, 2006 ; Cashman and Blundy, 2013 ; Bergantz et al., 2015 ; Edmonds et al., 2016 ; Cashman et al., 2017 ). Durant l’histoire d’un mush, différents processus magmatiques peuvent se produire, comme des changements de certaines conditions de stockage telles que la pression (P) ou la température (T), par exemple ( Costa and Morgan, 2010 ; Costa et al., 2020 ; Petrone and Mangler, 2021 ). Ces changements peuvent être enregistrés par les minéraux, sous la forme de bordures en périphérie des cristaux, qui ont une composition chimique plus ou moins différente de la composition initiale du cristal ( zonations chimiques ). Des cristaux zonés sont ainsi obtenus.

        Or, avec le temps, la diffusion intracristalline tend à rééquilibrer la composition entre les deux parties du cristal zoné. Cette vitesse de diffusion dépend de l’élément chimique, de la nature du cristal, de l’axe cristallographique considéré ainsi que de la température et de la pression ( Ganguly and Tazzoli, 1994 ) ( Figure 2a-c ).

        La diffusion des éléments étudiés dans le minéral doit être assez rapide pour effacer partiellement la zonation, mais assez lente pour que le cristal ne s’équilibre pas totalement aux nouvelles conditions ( Costa et al., 2020 ).

        Lors d’une éruption, ces phénomènes de diffusion sont figés ( par trempe thermique ). Ces cristaux zonés peuvent donc être vus comme des horloges cassées retrouvées sur une scène de crime. Ils peuvent être utilisés pour estimer les échelles de temps des processus antérieurs à une éruption ( Boudon et al., 2015 ; Solaro et al.., 2020 ; Ostorero et al., 2021 ; Morgavi et al., 2022 ).

        Les temps peuvent être modélisés dans différents minéraux ( olivines, plagioclases, pyroxènes, quartz... ) et contextes volcaniques, en prenant en compte plusieurs éléments qui diffusent.

        Les éruptions récentes des volcans monitorés bénéficient d’une observation des signaux géophysiques et géochimiques en temps réel. Il est intéressant d’étudier si les temps obtenus sur les cristaux zonés peuvent être corrélés avec ces signaux de monitoring avant plusieurs éruptions d’un même volcan.

        Ainsi, ces corrélations entre ces deux types d’échelles de temps pourraient permettre de mettre en évidence des systématiques de temps de réactivation magmatique. Ces corrélations sont donc importantes afin d’améliorer la gestion de futures crises volcaniques.

        C’est ce qui nous intéressait tout particulièrement au Kamtchatka ( Martel et al. in prep; Ostorero et al. in prep; Dupond De Dinechin et al. in review; Ostorero, 2022 ; Ostorero et al., 2022 ) et est l’une des missions du projet ANR VCare ( VolcaniC early awAREness ; ANR-18-CE03-0010 ) qui finançait ma thèse.

        En effet, ma thèse portait sur l’éruption bien surveillée de 2010 - 2013 du Kizimen et l’éruption de 1956 du Bezymianny ( même si, pour cette éruption, une seule station sismique distante était présente [à 42 km] et que les observations à l’époque étaient difficiles en raison des conditions de terrain ).

        

Figure 2.  De l’échantillon de roche volcanique aux analyses d’un cristal d’orthopyroxène zoné, afin d’estimer le temps d’interdiffusion Fe-Mg caractérisant les processus magmatiques en profondeur avant une éruption.

        a) Andésite de l’éruption de 1956 du Bezymianny ;

        b) Plot de cristaux d’orthopyroxènes après concassage de la roche et tri des minéraux;

        c) Image d’un cristal d’orthopyroxène zoné, réalisée au microscope électronique à balayage. Les bordures du cristal ont des compositions chimiques différentes du coeur, ce qui est visible sur l’image par des intensités de niveaux de gris différentes. Ici, les bordures sont plus sombres que le coeur, plus riches en Mg qu’en Fe ( on appelle cela, une zonation inverse ) ;

        d) Zoom sur la bordure ;

        e) Analyse à la microsonde électronique de la composition chimique de l’orthopyroxène ( de la bordure au coeur ) en fonction du Mg number ( Mg# = Mg / ( Mg + Fe2+ ) × 100 ) et estimation du temps d’interdiffusion en fonction du coefficient d’interdiffusion des éléments Fe-Mg ( Ganguly and tazzoli, 1994 ) et de la température ( Ostorero et al., 2022 ).

La mission au Kamtchatka

        Avec tous ces objectifs en tête, nous sommes donc partis du 19 août au 7 septembre 2019 avec une équipe de chercheurs français jusqu’à la ville de Petropavlosk-Kamchatsky, capitale du kraï du Kamtchatka. L’équipe était composée de mes directeurs de thèse, pétro-géochimistes : G. Boudon ( IPGP ) et H. Balcone-Boissard ( Institut des Sciences de la Terre de Paris ; ISTeP ), des pétrologues de l’Institut des Sciences de la Terre d’Orléans ( ISTO ), C. Martel et S. Erdmann, d’un autre doctorant en géochimie T. d’Augustin ( ISTeP ), d’un réalisateur, P. Créségut ( CRESTAR Productions ) et de moi-même.

        Ce fut un très long voyage, qui a duré deux jours où nous avons passé onze fuseaux horaires ( figure 1 ). À proximité de Petropavlovsk, je suis captivée par le nombre de volcans visibles depuis l’avion et par le survol de tous ces pics aux sommets enneigés!

        Arrivés au Kamtchatka, nous avons rejoint le reste de l’équipe scientifique : des volcanologues russes et allemands. La mission est principalement découpée en deux semaines : la première étant de collecter des échantillons du volcan Bezymianny au Nord-Est du Kamtchatka puis de nous rendre au pied du volcan Kizimen, situé plus au Sud ( figure 1b ). Cette région est particulièrement inaccessible ( seulement à pied ou en hélicoptère ) et assez dangereuse, étant le territoire des ours brun ( Ursus arctos beringianus ou « Grizzly de Sibérie » ). Nous avons donc reçu, en arrivant, un point de sécurité sur l’utilisation des « bombes anti-ours » et sur la meilleure façon de descendre d’un hélicoptère. Après un trajet de 10h de bus pour rejoindre la ville de Kozyresk ( à 300 km de Petropavlovsk ), nous prenons notre dernière douche dans un « banya » ou sauna russe, où il faut aller vite afin d’éviter les piqûres de moustiques!

        Le lendemain matin, nous prenons l’hélicoptère pour nous rendre au Bezymianny et commencer notre campagne d’échantillonnage. Le premier vol était très impressionnant : les bruits des pales de l’hélicoptère, le vent, les hublots ouverts sur le magnifique paysage, nous étions tous très heureux et impatients après des mois de préparation de la mission. Nous pensons d’ailleurs avoir aperçu un ours en contrebas avant d’arriver au premier campement.

        

1.  Vue depuis l’hélicoptère sur le volcan Klyuchevskoy (à gauche) et le Kamen (à droite) en partant du Kizimen.
Image © Georges Boudon

2.  Vue sur les volcans du Bezymianny, Kamen et Klyuchevskoy (de gauche à droite) en partant du Kizimen.
Image © Léa Ostorero

Volcan Bezymianny 23 août - 30 août 2019

        L’arrivée au Bezymianny est mémorable, avec la vue sur ce majestueux volcan, où un dôme de lave actif trône au sommet ( photos 2 et 3 ). L’éruption de ce volcan qui nous intéressait était celle de 1956 (avec une explosion latéralement dirigée).

• Éruption de 1956

        Le Bezymianny est un stratovolcan andésitique datant du Pléistocène ( 11 000 ans ) ( Ponomareva et al., 2007 ) ( figure 3a, photos 2 et 3 ). Il est devenu célèbre à la suite de son éruption du 30 mars 1956 ( sa première éruption depuis les temps historiques qui remontent dans cette région à 1697 ), après une période de dormance d’environ un millénaire ( Belousov, 1996 ).

        Cette éruption de 1956 a été précédée par six mois d’activité volcanique. Le 30 mars 1956, un glissement du flanc du volcan à grande échelle ( 0,5 km3, 22 km de distance de déplacement ) entraîne la dépressurisation rapide du cryptodôme ( dôme caché sous la surface du volcan ) et une forte explosion. Cette puissante explosion dirigée latéralement ( appelée « un blast » ) détruit la partie orientale de l’édifice volcanique sur 500 km2, produisant ~ 0,4 km3 de dépôts. Elle a été suivie de suite des courants de densité pyroclastiques ponceux ( d’un volume de 0,3 km3 ) et des retombées de cendres d’un volume de 0,5 km3, respectivement, couvrant 40 km2 ( Belousov, 1996 ).

        L’éruption de 1980 du Mont St. Helens ( États-Unis ), qui a eu le même dynamisme éruptif ( Voight, 1981 ; Voight et al., 1981 ; Glicken, 1998 ), a permis une meilleure compréhension des causes de l’éruption ( Belousov and Belousova, 1998 ; Belousov et al., 2007 ). Au cours des 75 dernières années, le volcan Bezymianny a montré une diversité de styles d’éruptions ( dernière éruption en octobre 2022 ) ( Global Volcanism Program, 2023 ).

• La campagne d’échantillonnage

        Au cours de cette semaine de terrain au pied du Bezymianny, nous avons échantillonné les dépôts de l’explosion dirigée latéralement de 1956 ( Ostorero, 2022 ). Ainsi, des fragments du cryptodôme andésitique, de différentes vésicularités, ont été collectés sur plusieurs sites du flanc Est du volcan dans les dépôts de blast dirigé. D’autres fragments ponceux émis suite à l’effondrement de la colonne éruptive immédiatement après le blast de 1956, ont également été collectés dans des parties plus distales du flanc Sud-Est du volcan. Nous avons eu l’opportunité de monter au sommet du Bezymianny pour accompagner des géochimistes qui échantillonnaient les fumerolles du dôme du volcan. Nous avons donc pu voir le dôme de lave du Bezymianny en cours de croissance ( figure 3b ; photo 3 ) et durant l’ascension, le massif de Zimina ( massif de volcans éteints ) et Udina ( massif volcanique considéré comme éteint mais connaissant une réactivation sismique depuis 2017 ) ( Koulakov et al., 2020 ) ( figure 3c ).

        

3.  Dôme du Bezymianny (août 2019).
Image © Georges Boudon

• Enregistrement cristallin de la dynamique du magma
avant la phase paroxysmale de l’éruption de 1956 du Bezymianny

        De retour à l’IPGP et après trois ans de travail, notre étude du Bezymianny a fourni de nouvelles perspectives temporelles sur les dynamiques pré-éruptives des magmas avant la phase paroxysmale de l’éruption de 1956 du Bezymianny ( Ostorero et al., in prep; Martel et al., in prep; Ostorero, 2022 ).

        Nous avons travaillé en combinant différents chronomètres pétrologiques : celui de l’orthopyroxène ( interdiffusion des éléments fer et magnésium ) et de la magnétite ( diffusion du titane ), ainsi que les échelles de temps des bordures de décompression des amphiboles provenant d’échantillons du blast et des ponces de 1956. Nous avons mis en évidence que des processus magmatiques se sont produits au cours de la décennie avant l’éruption. Le magma a ensuite subi un processus de réchauffement, enregistré par l’ensemble des cristaux. Une ascension du magma s’est ensuite produite dans un cryptodôme au moins trois mois avant l’éruption. Nous montrons ainsi les dynamiques principales du magma au cours des derniers mois précédant l’effondrement du flanc, comme cela a été observé pour l’effondrement de 1980 et l’explosion dirigée latéralement du Mont St. Helens ( Saunders et al., 2012 ).

        

Figure 3.  Photos de la campagne d’échantillonnage au Kamchatka (août 2019).

        a) Volcan Bezymianny et le campement au pied du volcan. La cicatrice de l’explosion latéralement dirigée de 1956 est toujours visible sous la forme de la bordure de l’amphithéâtre : cratère « Sofa » ;

        b) Dôme du Bezymianny, ses fumerolles et le sommet du volcan éteint Kamen en arrière-plan ;

        c) Ascension du Bezymianny et vue sur les massifs volcaniques au loin de Zimina ( à gauche ) et Udina ( à droite ) ;

        d) Volcan Kizimen et la coulée de lave de 2010 - 2013 ;

        e) Fumerolles au sommet du Kizimen.

        

4.  Arrivée en hélicoptère au volcan Kizimen. Image © Léa Ostorero.

Kizimen 31 août - 5 septembre 2019

        Après notre semaine au Bezymianny, nous avons pu rejoindre le Kizimen ( photos 4 et 5 ). Nous étions à la merci des conditions météorologiques et avons dû attendre plusieurs jours qu’un hélicoptère puisse venir nous chercher, mais la semaine d’échantillonnage s’est finalement bien passée.

• Éruption de 2010 - 2013

        Le Kizimen est un volcan datant du Pléistocène Supérieur- Holocène inférieur et il fait aussi partie de la CKD ( figure 3d-e ; photo 5 ). Quatre cycles d’activités ont été identifiés au Kizimen, datés de 12-11 ka à aujourd’hui, avant l’éruption récente de 2010, grâce à une étude téphrochronologique ( Melekestsev et al., 1995 ). Chaque cycle commence par de larges explosions et se termine par la formation d’un dôme extrusif et par l’émission de coulées de laves.

        En 1963, le volcan a été le siège d’une intense activité sismique ( séismes détectés à la surface jusqu’à 35 km de profondeur ; ( Senyukov et al., 2011 )). En 2010 - 2013, il a produit sa première éruption magmatique historique avec 0,4 km3 DRE ( Dense Rock Equivalent ) de magma avec des épisodes explosifs générant des courants de densité pyroclastiques suivis par l’extrusion d’un dôme de lave qui progressivement a formé une coulée de lave très épaisse ( Auer et al., 2018 ).

        De nombreux courants de densité pyroclastiques de blocs et de cendres ont été produits à la suite de l’effondrement gravitaire du dôme de lave et du front de la coulée. L’éruption débute le 11 novembre 2010 et a été précédée par un an et demi de crise sismique ( Senyukov et al., 2011 ). Un modèle proposé ( Auer et al., 2018 ) pour l’éruption de 2010 suggère qu’une injection de magma basaltique dans un réservoir dacitique s’est produite en profondeur en 1963, associée à la crise sismique. Puis, après une longue période de dormance, une phase d’activité sismique a débuté en avril 2009 et s’est poursuivie pendant une année et demie avant l’éruption ( Senyukov et al., 2011 ). Un mélange rapide des composants du magma dans un réservoir probablement stratifié serait à l’origine de l’éruption en novembre 2010, éjectant un magma mal mélangé attesté par l’abondance d’andésites et de dacites rubanées.

        Concernant les profondeurs de stockage des magmas, ils seraient stockés entre 5 et 11 km ( ~ 810 °C et ~ 123 MPa ( ~ 5 km ) ) ( Auer et al., 2018).

• Corrélation entre la pétrologie et la sismicité
pour l’éruption de 2010 du volcan Kizimen

        D’après la modélisation de l’interdiffusion intracristalline des éléments Fe-Mg dans 88 cristaux d’orthopyroxènes zonés, les magmas ont subi des phénomènes de mélanges des magmas ~1,5 ans avant l’éruption, qui sont corrélés avec le début de la crise sismique enregistrée avant l’éruption de 2010 ( figure 4 ) ( Ostorero et al, 2022 ). Un magma de composition andésitique se serait mélangé au magma de composition dacitique situé à une plus faible profondeur. Ce mélange aurait participé à des échanges de cristaux d’orthopyroxène au contact entre les deux magmas, enregistrant un réchauffement pour les cristaux situés initialement dans la dacite, et un refroidissement pour les orthopyroxènes de l’andésite et générant des zonations différentes.

        Ainsi la réactivation sismique observée marque le début du processus de mélange des magmas conduisant à la déstabilisation du réservoir et à l’éruption après ~ 1,5 an ( figure 4 ).

        Cette échelle de temps représente une information précieuse pour la gestion de la prochaine éruption de ce volcan, et donne des informations temporelles plus généralement pour les volcans d’arc et pour l’interprétation des éruptions passées monitorées et futures ( en cas de réactivation ).

        D’autres cristaux de plagioclase et de magnétite provenant des mêmes échantillons de l’éruption de 2010 ont aussi été étudiés ( Dupont De Dinechin et al. in review ). Certains types de plagioclase zonés donnent les mêmes ordres de grandeur de temps que les orthopyroxènes, montrant une réactivation précoce avant l’éruption. Cette bonne corrélation entre les ensembles de données pétrologiques ( orthopyroxènes, magnétites et le dernier événement enregistré par les plagioclases ) et les signaux de surveillance géophysique a donc été obtenue pour les magmas évolués du Kizimen.

        Ces corrélations sont donc des avancées majeures pour la gestion de crises volcaniques dans les zones de subduction et pourrait aider à développer des horloges d’alerte précoce avant les éruptions, car ces types de corrélations sont moins étudiés pour les magmas évolués, par rapport aux systèmes où les magmas sont moins différenciés.

        En parallèle sur la Montagne Pelée ( Martinique, Petites Antilles ), il a été montré, pour des éruptions passées des 5 000 dernières années, qu’il existe un schéma systématique entre les changements des conditions de stockage du magma et les éruptions de l’ordre de 2 à 3 ans avant les éruptions ( Boudon et al., 2018 ) pour des conditions de stockage stables du magma au cours du temps.

        Ainsi, ces systématiques des temps de réactivation magmatique identifiées au cours de ma thèse pour la Dominique ainsi que la comparaison avec la Montagne Pelée et la corrélation mise en évidence au cours de la dernière éruption du Kizimen avec les signaux de monitoring enregistrés, ouvrent des possibilités d’améliorer considérablement la gestion d’une crise volcanique pour des éruptions futures.

        Sur un volcan donné, et surtout pour ceux n’ayant pas connu d’éruption magmatique bien monitorée, comme c’est le cas pour beaucoup de volcans actifs ( ex. Montagne Pelée de Martinique, La Soufrière de Guadeloupe, Dominique...), connaître le temps qui sépare la réactivation magmatique d’une future éruption ( horloge pré-éruptive ) est un atout considérable pour pouvoir anticiper des décisions, donc mieux gérer la crise volcanique et mieux protéger les populations qui vivent au pied de ces volcans.

        

Figure 4.  Corrélation des données sismiques enregistrées avant l’éruption de 2010 - 2013 du Kizimen avec l’estimation des temps d’interdiffusion dans les cristaux: réactivation du système magmatique environ 18 mois avant l’éruption de 2010, avec une crise sismique ayant eu lieu au même moment ( modifié d’après Ostorero et al. (2022)).

        a) Profondeur des séismes en fonction du temps ;

        b) Nombre cumulé des temps de diffusion modélisés dans les cristaux d’orthopyroxènes dans des dacites et andésites. Le moment sismique cumulé est reporté en vert et montre un accroissement corrélé à l’augmentation des temps enregistrés par les cristaux, indiquant des phénomènes magmatiques en profondeur. Pour plus de détails, se référer à l’article Ostorero et al. ( 2022 ).

        

5.  Le volcan Kisimen.
Image © Léa Ostorero.

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Cette aventure au Kamtchatka a débuté avec ma thèse que j’ai initiée en 2019 à l’Institut de physique du globe de Paris. Celle-ci portait sur les dynamiques des magmas avant des éruptions explosives sur plusieurs volcans dans le monde, dont deux volcans situés au Kamtchatka (Russie) ...