Thématique ... Histoire
Article publié dans la revue LAVE N°215
Histoire simplifiée de la découverte du volcanisme
Michel GASTOU
[ Mon propos ne sera pas de développer les nouvelles avancées des sciences de la Terre sur la tectonique qui expliquent le « moteur » du volcanisme pour le comprendre, mais de faire un retour en arrière depuis la pensée grecque jusqu’à nos jours.]
Les volcans et les tremblements de terre ont toujours frappé l’imagination de l’Homme qui, à la vue ou au récit d’une manifestation, reste étonné et inquiet devant l’impression de force démesurée, impossible à maîtriser, qui s’en dégage...
Il a fallu 2 000 ans pour comprendre, scientifiquement la chaleur de la Terre qui produit le magma et surtout pourquoi et comment il est expulsé.
L’histoire de la volcanologie est, comme la plupart des autres histoires des sciences naturelles, marquée par trois grandes étapes :
– une étape superstitieuse où les croyances, la mythologie et la pensée religieuse dominent largement sur les connaissances,
– puis un apport scientifique qui cherche à concilier les observations et les croyances,
– et enfin une connaissance scientifique du phénomène volcanologique qui ne démarre qu’au XVIIIème siècle donc plus tard que les autres sciences naturelles, par William Hamilton, et en1912, par la théorie de la dérive des continents d’Alfred Wegener qui restera sans suite pendant 50 ans.
Les mécanismes, qui non seulement provoquent les éruptions mais aussi les tremblements de terre, (nouveau paradigme des géologues), n’émergeront qu’à partir des années 1965.
Nous allons commencer cette synthèse générale par la pensée grecque qui est le moteur, pour l’Occident, de l’ouverture vers ce nouveau concept : la science.
La pensée grecque
1. Thalès de Milet, in Illustreradverldshistoria, 1875, par Ernst Wallis, Wikipedia.
2. Anaximandre de Milet, bas-relief entre -100 et 200, Rome, Musée national romain, Palazzo Altemps, Utpictura18.
Thalès de Milet (625 ou 620-548 ou 545 av. J.-C.) (C. Rovelli, 2009)
Dans la tradition antique, Thalès (figure 1) est considéré comme l’un des « Sept Sages de la Grèce » que les Grecs ont reconnus et respectés comme les fondateurs de leur pensée et de leurs institutions. Ce groupe était composé d’hommes politiques, de législateurs, de philosophes présocratiques et de savants.
Le VIème siècle grec marque la libération de la lecture et de l’écriture du cercle des scribes professionnels. Elle se diffuse à de larges pans de la population, et pratiquement à toute la classe aristocratique dominante. Au moment où les cités grecques chassent les rois, quand elles découvrent qu’une collectivité humaine hautement civilisée n’a pas besoin d’un roi-dieu pour exister, qu’au contraire elle fleurit mieux sans. La lecture de l’ordre du monde se libère de la sujétion aux dieux créateurs et ordonnateurs et de nouvelles voies s’ouvrent, pour comprendre et ordonner le monde.
C’est l’hypothèse de base de la recherche de la méthode scientifique de la connaissance. La science offre les meilleures réponses parce qu’elle ne considère pas ses réponses comme certainement vraies, elle est toujours capable d’apprendre, de recevoir de nouvelles idées.
Mais cela ne durera pas, peu de siècles plus tard, l’empire romain aura replacé le pouvoir dans les mains d’un seul, César, qui, avec le christianisme, replaceront le savoir dans les mains du divin. Il y aura refondation de la théocratie.
Anaximandre de Millet (vers 610-546 av. J.-C.) (C. Rovelli, 2009)
L’image qui se dessine d’Anaximandre (figure 2), élève de Thalès, est celle d’un géant de la pensée, dont les idées marquent un tournant historique majeur : il est l’homme qui a donné naissance à ce que les Grecs ont appelé l’investigation de la nature, jetant les bases de toute la tradition scientifique ultérieure. Il ouvre sur le monde naturel une perspective rationnelle : pour la première fois, le monde des choses est perçu comme directement accessible à la pensée.
Le projet d’Anaximandre est devenu, dans les mains de ses successeurs, un programme capable d’un développement infini, et qui, dans son incarnation moderne, a produit le plus grand développement de la connaissance que le monde ait connu. Il est le premier géographe, le premier biologiste à considérer la possibilité d’une modification des êtres vivants au cours du temps, le premier astronome à étudier rationnellement le mouvement des astres et à chercher à les reproduire dans un modèle géométrique. Il est le premier à proposer deux instruments conceptuels qui se sont révélés fondamentaux pour l’activité scientifique : l’idée de loi naturelle qui gouverne le déroulement des phénomènes dans le temps, selon la nécessité, et l’introduction de termes théoriques qui postulent de nouvelles entités nécessaires pour rendre compte du monde des phénomènes.
Plus important encore, il est à l’origine de la tradition critique qui fonde la pensée scientifique : continuer la voie de son maître, mais reconnaître en même temps que le maître s’est trompé. Ce délicat point d’équilibre, poursuivre et prolonger la voie du maître en critiquant le maître, a donc une date de naissance précise. L’idée fera immédiatement école.
Enfin, il accomplit la première grande révolution conceptuelle de l’histoire des sciences : pour la première fois, la carte du monde est redessinée en profondeur. L’universalité de la chute des corps est remise en question dans le cadre d’une nouvelle image du monde où l’espace n’est pas structuré en haut et bas absolus, et où la Terre flotte dans l’espace. C’est la découverte de l’image du monde qui caractérisera l’Occident pendant des siècles. C’est la naissance de la cosmologie.
Mais c’est surtout la découverte qu’il est possible d’accomplir une révolution scientifique. C’est le triomphe de cette pensée, le début de l’exploration des formes possibles de la pensée du monde.
Les découvertes d’Anaximandre ne s’arrêtent pas là...
Un rapide regard sur le monde asiatique
Selon une thèse classique, une révolution scientifique comparable à celle advenue en Occident n’a pas eu lieu dans la civilisation chinoise, qui pourtant fut durant des siècles largement supérieure à plus d’un égard, précisément parce que, dans la pensée chinoise, le maître n’est jamais critiqué, jamais mis en discussion. La grande civilisation chinoise n’a pas réussi à comprendre que la Terre est ronde avant que les Jésuites soient arrivés pour la lui expliquer.
Il n’y eut jamais un Anaximandre ou, s’il y en eut un, l’empereur lui a probablement fait trancher la tête.
3. Empédocle d’Agrigente, Wikipédia
4. Buste d’Aristote. Marbre, copie romaine d’un original grec en bronze de lysippse (vers 330 av. J.-C.), Wikipédia.
Empédocle d’Agrigente (490-430 av. J.-C.)
À juste raison, Empédocle (figure 3), ce Grec de Sicile qui étudia l’Etna, admet l’existence de courants de lave souterrains et attribue au feu interne les eaux thermales et aussi les montagnes.
Il dit que les roches cristallines ont été élevées et soutenues par le feu intérieur de la Terre et y voit, par anticipation, la cristallisation en profondeur de la lave fondue en granite.
Premier nom sur la liste des victimes de la science, il tombe dans le cratère de l’Etna, par accident disent les uns, pour se suicider selon les autres.
Platon (427-347av. J.-C.)
Platon reprend les vues d’Empédocle et y ajoute une observation : avant l’éruption de lave incandescente, il y a souvent des coulées de boue, des fleuves d’eau chaude et froide parcourent l’intérieur de la Terre et un vaste fleuve de feu central, le Pyriphlégéthon, alimente tous les volcans de la Terre.
Aristote (384-322 av. J.-C.)
Aristote (figure 4) est probablement le premier théoricien sur l’origine des volcans.
Pendant très longtemps, on peut même dire jusqu’au XIXème siècle, les interprétations hors mythes et croyances sur l’origine des volcans se sont inspirées de la théorie d’Aristote. Selon cette théorie c’est le rôle des vents qui s’engouffrent dans les cavités qui sont le moteur des éruptions. Il la justifie dans son écrit sur la philosophie de la nature. (Météorologiques, Livre II, tome 8) :
« (...) Mais pour se rendre compte de toute la puissance du souffle, il faut considérer non seulement ce qui a lieu dans l’air, mais encore ce qui se passe dans le corps des animaux. En effet, les convulsions et les spasmes sont des mouvements du souffle, et ils ont une force telle que les efforts conjugués de plusieurs personnes sont incapables de maîtriser les mouvements des malades. Il faut imaginer des phénomènes du même genre dans la terre, pour comparer une grande chose à une petite.
(...) Dans l’île de Hiéra qui est l’une des îles qu’on appelle Éoliennes : en cet endroit, une partie du sol s’est gonflée et une masse ressemblant à une butte s’est soulevée avec fracas ; finalement, cette boursouflure explosa et un grand souffle en sortit qui projeta des flammèches et des cendres. Celles-ci ensevelirent toute la ville de Lipara qui se trouve non loin de là et s’étendirent jusqu’à certaines villes d’Italie. Il faut donc admettre que le feu qui se forme dans la terre a pour cause le fait que le choc enflamme l’air qui s’est préalablement réduit en fines molécules ».
La Romanité
5. Pline le Jeune, in A. Thevet, les vrais Pourtraits & vies des hommes illustres grecz, latins et payens, 1584, gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France.
6. Pline l’Ancien, in Grande Illustrazione del lombardo veneto ossia storia delle città, dei borghi etc. par Cesare Cantù Milan, 1859, vol. III, Wikipédia.
Pendant une très longue période, après la disparition de la Grèce antique, les discussions sur les volcans furent rares. pourtant !
En 79 ap. J.-C., l’éruption du Vésuve causa la disparition de Pompéi, Herculanum et Stabies. L’événement fut décrit par Martial (40-104), Tacite (55-120) et surtout par Pline le Jeune (62-113) (figure 5), dans sa lettre émouvante adressée à Tacite, où il relate la mort de son oncle, Pline l’Ancien1 (figure 6), probablement asphyxié par du CO2 :
« Je suppose que l’air épaissi par la cendre avait obstrué sa respiration et fermé son larynx qu’il avait naturellement délicat, étroit et souvent oppressé. »
Or, si vingt-cinq ans plus tard, pline le Jeune fait une description détaillée de l’éruption du Vésuve, et notamment la première d’un panache plinien – « une nuée se formait (...), ayant l’aspect et la forme d’un arbre et faisant penser surtout à un pin » (figure 7) – aucun des trois auteurs ne fait la moindre réflexion « scientifique » sur les causes possibles de l’éruption ! Les volcans sont des symboles de la force brutale et du déchaînement de la Nature...
Les descriptions ne sont donc encore qu’émotives.
On est dans le monde romain. A quoi peut-on attribuer cette perte de réflexion sur un événement de cette importance, pourtant déjà analysé par les Grecs anciens ? Nous allons le voir, avec Cicéron.
1 . Pline l’Ancien (23 ou 24 – 79 ap. J.-C.) est l’auteur d’une monumentale encyclopédie intitulée Histoire naturelle (naturalis historia), publiée vers 77. Comptant trente-sept volumes, il s’agit du seul ouvrage de Pline l’Ancien qui soit parvenu jusqu’à nous. Ce document a longtemps été la référence en sciences et en techniques, mais avec très peu d’éléments sur le volcanisme. (d’après Wikipédia.)
7. vésuve en éruption, octobre 1822. George Poulett scrope (1797-1876), in G. Julius Poullet scrope, Masson, 1864, Wikipédia.
Cicéron (106-43 av. J.-C.)
À Cicéron, homme d’état, consul sous César, orateur prodigieux, philosophe et mort assassiné, est le premier à avoir pris conscience, près de 100 ans après la conquête de la Grèce, des problèmes posés par la transplantation de la philosophie grecque dans la culture romaine. Il découvre que la philosophie est tributaire de la langue qui l’exprime.
Le latin, langue des paysans, des architectes constructeurs et des soldats, tournée vers l’action, est mal outillé pour traduire les abstractions auxquelles la langue grecque est spontanément portée.
De la mythologie à la géologie...
Comment est né le mot « volcan » ?
Dans la mythologie grecque, Héphaïstos, fils de Héra et de Zeus, ou de Héra seule selon les sources, est le dieu du feu, de la forge et de la métallurgie. Les romains l’ont assimilé à Vulcain (vulcanus en latin) qui hérite des mythes d’Héphaïstos. Fils de Jupiter et de Junon, il réside sous l’Etna où il forge les foudres pour son père.
C’est Vulcain – par l’intermédiaire du latin vulcanus (nom du dieu et de l’île Éolienne Vulcano), de l’arabe burkan et de l’espagnol volcán – qui donnera son nom au « volcan », qui n’apparaît que très tardivement.
Hadès devenu Pluton
Hadès, dieu grec des Enfers et du monde souterrain, règne sur le royaume des morts. Et en sciences de la Terre, le premier éon des temps géologiques (de –4,56 à –4 milliards d’années) a été baptisé « Hadéen », du nom de ce dieu en raison des conditions extrêmes qui régnaient alors sur Terre.
Par ailleurs, pluton, l’un des surnoms d’Hadès dans la religion romaine, désigne en géologie un massif formé de roches magmatiques cristallisées en profondeur suite au lent refroidissement d’un magma (durant plusieurs dizaines de milliers ou millions d’années) et qui affleure après l’érosion des roches qui le recouvraient.
Le Moyen Âge du Vème au XVème siècle
Chine : écrire, graver et imprimer
Isolée de l’Occident, la Chine évolue à part. C’est déjà un pays très peuplé et surtout agricole. La curiosité s’y oriente davantage vers les techniques que vers les sciences. S’il est une invention chinoise qui a conquis le monde, c’est incontestablement le papier. Aucun autre matériau n’a autant contribué à l’essor de la civilisation écrite, notamment lorsque commencèrent à se développer plusieurs méthodes d’impression en série.
Vers le IIème siècle av. J.-C., on découvre qu’en faisant tremper des fibres végétales de chanvre ou de bambou, par exemple, qui sont ensuite séchées sur un tamis, on obtient une plaque idéale pour écrire, à la fois légère, maniable et de faible coût (figures 8a et 8b).
L’imprimerie à caractères mobiles fut inventée par Bi Sheng au XIème siècle. Les caractères en céramique étaient placés dans un châssis en fer et disposés en fonction de la prononciation. En Chine, elle était réservée à de grands projets éditoriaux, en raison du nombre élevé de sinogrammes.
Gutenberg développera la même technique en Europe... vers 1450.
8 a. impression sur une feuille de papier chinois (source inconnue)
8 b. Jean Miélot à son scriptorium... contemporain de Gutenberg, Wikipédia.
Orient et monde arabe
Alors que la pensée grecque se diffuse vers l’Occident, en Orient il n’y a pas de commentaires particuliers sur le volcanisme.
D’Orient, les oeuvres des Grecs sont transmises vers l’Occident. Les manuscrits des Grecs sont traduits d’arabe en hébreu, puis en latin. En Espagne, Averroès (1126-1198) enseigne dans la célèbre école de Cordoue.
Nota : un Persan invente un appareil ingénieux pour mesurer la densité des minéraux, le pycnomètre (figure 9).
9. Pycnomètre. Croquis modifié par Michel Gastou (source inconnue).
Occident du Vème au Xème siècle
En Europe, pendant ce temps, l’histoire des techniques et des sciences est réduite à sa plus simple expression. En sciences, on a l’oeuvre latine de Saint Isidore de Séville (560 ou 570 – 636) qui n’est qu’une compilation encyclopédique, Etymologiæ, en vingt livres rédigée vers la fin de sa vie faisant redécouvrir la pensée d’Aristote au monde occidental. Et c’est tout.
Quelles sont les causes de cette régression ? Les communications étaient difficiles, les gens cultivés étaient rares, la pression démographique avait baissé en Europe occidentale. Certains incriminent aussi les barbares, d’autres l’Église chrétienne d’Occident. Mais les vrais responsables sont les romains, leur incompréhension et leur mode de pensée. Les dates parlent : la régression scientifique a commencé avec eux, cinq siècles avant les barbares, deux siècles avant Jésus-Christ. (voir Cicéron.)
Quant à l’Église d’Occident, son pouvoir a été immense mais la théologie lui interdisait tout regard scientifique à l’exception des techniques. On doit noter à son actif que ses monastères ont été l’un des rares refuges pour l’étude et pour l’amélioration des techniques rurales.
Le monde contemporain : l’Occident vers la fin de l’obscurantisme
A partir du XIème siècle, l’histoire des sciences, toujours réduite à sa plus simple expression commence à montrer un renouveau.
Aristote est enfin connu en France, les progrès scientifiques et techniques sont désormais, et pour plus de trois siècles, concentrés surtout en Europe occidentale.
Sa pensée marque profondément la scolastique (conciliation de l’apport de la pensée grecque avec la théologie). pendant plus de cinq siècles, de 1250 à 1750 et au-delà, une quantité immense d’efforts sera dépensée par des hommes de talent, pour retrouver ou rétablir, en des controverses sans fin, un certain nombre de notions de base, déjà connues des Grecs, mais oubliées depuis ou remises en doute au nom de la bible.
Le XVIème siècle est une époque de transition, les sciences de la nature ont à trouver leurs méthodes, et d’abord à se dégager des idées d’Aristote qui influencent fortement la philosophie et la théologie de l’Occident durant les quatre à cinq siècles suivants.
C’est avec les éruptions du Vésuve, en 1661, assoupi depuis plus de 500 ans, et de l’Etna, en 1669, qui détruisit une partie de la ville de Catane, qu’apparaît un regain d’observations sur les volcans dont certaines sont publiées dans les livres.
XVIIIème siècle
Alors que Carl von Linné (1707-1778), naturaliste suédois, formule une classification, toujours en vigueur, des espèces botaniques et zoologiques, le volcanisme commence à devenir un objet scientifique.
Le Français Jean-Étienne Guettard (1715-1786), traversant l’Auvergne, reconnaît dans les puys d’anciens volcans, et dans les cheires, des coulées de laves. Son compatriote Nicolas Desmarets (1725-1815) montre en 1763 que le basalte lui-même est volcanique.
Une connaissance scientifique du phénomène démarre au XVIIIème siècle grâce à William Douglas Hamilton (1730-1803), aristocrate écossais et membre du parlement britannique. pendant sa mission d’ambassadeur à Naples qui va durer plus de 30 ans, le Vésuve étant alors en éruption quasi-permanente, il va observer son activité volcanique et s’intéresser aux tremblements de terre. Il envoie des communications à la Royal society de Londres et en particulier un compte-rendu de l’éruption du Vésuve de 1766. En 1770, la Royal society lui attribue la médaille Copley pour son ouvrage voyage au Mont Etna, et en 1776 il publie Campi Phlegraei : observations sur les volcans des deux-siciles, avec des illustrations de pietro Fabris et un texte sur deux colonnes en français et en anglais (Encyclopædia Universalis). Les 54 planches gravées et aquarellées de l’ouvrage représentent, avec une grande exactitude les éruptions du Vésuve, des planches d’échantillons de roches, les paysages et les modifications du cratère lors de l’éruption de 1767. Avec ses observations de terrain pouvant s’apparenter aux démarches scientifiques actuelles pour expliquer le volcanisme, Lord William Hamilton apparaît comme le premier volcanologue. (Cf. Mémoire n°14 de L.A.V.E. : Campi Phlegraei de William Hamilton par Michel Morisseau.)
Au XVIIIème siècle, deux écoles s’affrontent : les neptunistes pensent que le contact de l’eau sur la pyrite enflamme des couches de charbon qui font fondre les roches environnantes alors que les plutonistes affirment qu’il existe une masse de roche en fusion dans les profondeurs de la Terre et qui ressort à certains endroits.
Mais le moteur des éruptions, selon nos vues actuelles, n’est pas encore bien résolu puisque pour buffon, en 1749, c’est un feu causé par la combustion de charbon ou bien de pétrole et par la fermentation des pyrites qui provoque l’expulsion de la lave.
XIXème et XXème siècles
Du fait de l’activité régulière du Vésuve, un observatoire volcanologique est construit sur ses pentes en 1841 et des sismographes y sont installés.
En 1883, l’éruption du Krakatoa concentre tous les efforts des géologues sur ce volcan. L’éruption est analysée ainsi que ses effets : onde de choc, effets climatiques, etc.
En 1902, l’éruption de la montagne pelée de la Martinique, la destruction totale de la ville de Saint-pierre et les 28 000 morts provoquent la stupeur en métropole. Alfred Lacroix est mandaté par l’Académie des sciences pour comprendre les raisons de la catastrophe.
Le progrès scientifique s’intensifie et se diversifie et un nombre de plus en plus grand de nations y prend part, dans la mesure où elles savent former et soutenir leurs chercheurs.
Ce qui est étonnant en géologie, c’est moins ce passage que les résistances qu’il rencontre encore en 1968 de la part de quelques esprits timides !!
Outre les observations et études de terrain, les progrès de la géologie consistent surtout dans l’introduction des mesures, telle par exemple, la chronologie relative. Toutes les sciences sont ainsi passées, ou sont en train de passer, du stade purement qualitatif à un stade quantitatif.
Mais il y a aussi des découvertes de fond qui concernent l’histoire de l’exploration du volcanisme...
Depuis les premières mines creusées dès l’Antiquité, on sait que la température augmente quand on s’enfonce sous Terre. Mythes et religions mettaient souvent l’Enfer au centre de la Terre. D’ailleurs, la lave ne sort-elle pas des profondeurs par les volcans qui, en plus, sentent le soufre, élément diabolique s’il en est ? pour buffon, en 1749 c’est non.
Les tremblements de terre viennent aussi renforcer l’idée d’une formidable énergie accumulée sous nos pieds. Tout cela a conduit à l’idée d’une Terre « boule de magma », limitée par une très mince écorce solide...
Mais alors d’où vient cette température ? Il y a eu deux raisons que nous allons voir :
La première raison est l’accrétion (figure 10). La Terre, comme toutes les planètes, s’est formée, il y a 4,55 Ga par l’accrétion, dite « boule de neige », de l’agglomération de matériaux et d’objets rocheux présents dans le disque protoplanétaire.
Ces corps arrivaient les uns sur les autres à grande vitesse, donc avec une très haute énergie cinétique, et leurs chocs ont transformé cette énergie cinétique en chaleur pour fondre les roches et créer un « océan de magma ». Puis la Terre s’est différenciée, en trois grandes enveloppes : noyau, manteau et croûte.
En plus de la chaleur accumulée lors de la phase d’accrétion, il faut compter sur l’énergie liée à la désintégration d’éléments radioactifs possédant une courte période et qui ont totalement disparu à l’heure actuelle : l’aluminium 26 et le fer 60.
On estime qu’aujourd’hui il ne reste plus que quelques pourcentages de cette considérable énergie. Mais une autre énergie dépendant aussi de l’accrétion, l’uranium U, est toujours en activité...
La deuxième raison est un phénomène naturel qui a été découvert à la fin du XIXème siècle, en 1896. Le physicien français Henri becquerel (1852-1908) cherchait à savoir si des sels d’uranium, excités par la lumière du soleil, émettaient des rayons X en même temps qu’ils étaient fluorescents (les rayons X venaient tout juste d’être découverts par le physicien allemand Wilhelm roentgen (1845-1923)). Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il découvrit, qu’excités ou non, les sels d’uranium émettaient des rayonnements capables de traverser une bonne épaisseur de matériau puis d’impressionner une plaque photographique !
Il en conclut que l’uranium émettait spontanément, et sans s’épuiser, des rayonnements invisibles se comportant comme les rayons X.
Ce phénomène naturel fut appelé radioactivité (du latin radius : rayon) quelques années plus tard par Marie Curie (1867-1934).
Depuis lors, nous savons que des éléments radioactifs présents dès la formation du globe dans les matériaux constitutifs de la Terre, notamment dans la croûte terrestre et le manteau supérieur, se désintègrent par radioactivité, un mécanisme qui s’accompagne d’une libération importante de chaleur.
Donc la chaleur actuelle de la Terre, provenant de la désintégration radioactive était découverte,mais pas encore intégrée au volcanisme...
10. Accrétion, montage de Michel Gastou, à partir du site la formation de la Terre,
http://formationdelaterre.over-blog.com/article-1428634.html pour les deux premières figures.
- Évolution des températures et de la géothermie de la Terre depuis sa création
Un facteur significatif de cette évolution géothermique est la température des laves volcaniques. À l’Archéen (3 Ga) les coulées volcaniques sont en général minces, aussi bien aériennes que sous-marines. Leur température au point d’émission aurait été de 1400 à 1650 °C. Leur viscosité à l’émission était donc de 10 à 100 fois inférieure à celle des basaltes actuels.
Témoins de cette Terre interne très chaude, les komatiites (du nom de la Komati River en Afrique du Sud) sont des roches issues de laves ultrabasiques quasi-exclusivement du précambrien (Hadéen à Archéen, de 4,55 à 2,5 Ga).
Aujourd’hui, 3 Ga d’années plus tard, la température de sortie des laves varie entre 700 et 1200 °C maximum.
- Évolution vers la connaissance
Depuis les premières descriptions des éruptions volcaniques, la volcanologie n’a réellement progressé qu’au XXème siècle. L’évolution s’est faite par des constatations extérieures : mesures, analyses, relevés de terrain... Mais toujours pas sur le fond, c’est-à-dire sur l’origine des magmas, leurs zones de génération, leur ascension, etc., le moteur ! pourquoi ?
La relative brièveté d’une éruption (au sens géologique du terme), les difficultés d’accès, les dangers mêmes que le phénomène oppose aux investigateurs constituent des obstacles pas facilement surmontables (H. Tazieff).
Comme tout phénomène naturel, celui-ci est infiniment trop complexe pour que la science appréhende facilement et rapidement l’ensemble des conditions initiales et des interactions agissantes qui le conditionnent.
Il était dès lors impossible d’en comprendre complètement le fonctionnement et donc d’en prévoir avec certitude le déroulement. Cette discipline occupe une position charnière entre : sciences de la Terre, chimie et physique. La volcanologie moderne exige donc un travail pluridisciplinaire, ce qui n’a pas été et n’est pas toujours facile. Elle doit s’adresser tant à la géologie, à la géophysique et à la géochimie qu’à la physique et à la chimie, et utiliser simultanément les techniques les plus diverses.
La fragmentation des disciplines a donc inéluctablement accompagné l’émergence de recherches nouvelles et de plus en plus pointues. D’un côté, ce morcellement en spécialités distinctes est un gage d’efficacité et facilite l’avancée des connaissances, mais, d’un autre côté, il complique le dialogue entre spécialistes !
Il faut donc en parallèle, pour la science, et le grand public notamment, une discipline de synthèse. C’est la fonction moderne de l’histoire naturelle que de moissonner des acquis disciplinaires variés pour dégager une vision d’ensemble, une synthèse.
Mais petit à petit on y parvient...
Il est incontestable qu’il y a une relation étroite entre le volcanisme et la tectonique des plaques (dérive des continents). C’est l’énergie interne de la Terre (flux de chaleur) qui déplace les continents et qui crée le volcanisme.
Nous allons voir le début de la réflexion sur ce phénomène, son évolution, et la connaissance.
11. Alfred Wegener (entre 1924 et 1930), Bildindex der Kunst und Architektur, Wikipédia.
- Début de cette évolution
Le 6 janvier 1912, Alfred Wegener (1880-1930), astronome et météorologue de formation (figure 11), présente une communication à la session annuelle de l’Union géologique allemande, qui se tient à Francfort-sur-le-Main : Idées nouvelles sur la formation des grandes structures de la surface terrestre (continents et océans) sur des bases géophysiques. Wegener y suppose que les continents actuels étaient regroupés à une certaine époque en un bloc unique qui s’est ensuite fragmenté, les différents morceaux s’étant déplacés horizontalement, à la manière de radeaux, jusqu’à leur position actuelle, qui est elle-même évolutive.
Cette hypothèse se heurta d’emblée à une farouche opposition de la part des géologues et des géophysiciens, d’abord parce qu’il paraissait incongru qu’un météorologue empiète sur leurs domaines de connaissances, ensuite parce qu’à l’époque il semblait inconcevable que des masses telles que les continents puissent se déplacer, même lentement, au cours des temps géologiques. pourtant, Wegener n’avait fait là qu’opérer la synthèse d’observations et de travaux antérieurs. Il décèdera dans une expédition au Groenland en 1930.
− Reprise de la dérive des continents par la tectonique des plaques, mais encore peu de discussions sur le volcanisme...
- 1944, Arthur Holmes (1890-1965), géologue anglais, pionnier des méthodes de datation radioactive des roches, propose un modèle crédible pour faire se déplacer les continents, celui des mouvements de convections du manteau rocheux de la Terre, chauffé par la désintégration des éléments radioactifs.
- 1958, l’océanographe ronald George Mason (1916-2009) découvre des anomalies magnétiques (variation du champ magnétique terrestre) au niveau des rides médio-océaniques, qui seront interprétées par Frederick Vine (1939-) et Drumond Matthews (1931-1997) en 1963.
- 1960, donc en cette après-guerre, le monde scientifique des sciences de la Terre amorce sa révolution conceptuelle actuelle en grande partie grâce à une meilleure connaissance des fonds océaniques, sous-produit si l’on peut dire de la guerre maritime et sous-marine.
- 1962, l’océanographe Harry Hess (1906-1969) propose qu’au niveau de la ride médio-océanique de l’Atlantique, la lave se déverse du fait de fractures provoquées par l’écartement du fond des océans en réponse à la convection mantellique, introduisant donc le concept d’expansion des fonds océaniques.
- 1967-1968, William Jason Morgan (1935-2023), géophysicien et professeur à l’Université de princeton, présente la naissance de la tectonique des plaques lors d’une réunion de l’American Geophysical Union. Son exposé montre que la surface terrestre est divisée en plaques rigides et que les mouvements des fonds océaniques mis en évidence par ses prédécesseurs peuvent être décrits à l’aide des règles mathématiques de la géométrie sur la sphère.
- 1968, Xavier le pichon (1937-), en utilisant la méthodologie d’Harry Hess, réalise la première carte globale des mouvements des six plus grandes plaques qui a servi de base pour une meilleure compréhension de la distribution des tremblements de terre et pour la reconstruction à grande échelle de la configuration des continents et des bassins océaniques.
L’histoire de la découverte de la théorie de la tectonique des plaques de Wegener à Le pichon est extraordinairement riche. D’autres noms de découvreurs mériteraient d’être mentionnés... et ce thème pourrait faire l’objet d’un article à lui seul.
Catastrophes célèbres...
Cet article étant un panorama de l’évolution de la connaissance de ce que la science d’aujourd’hui appelle le volcanisme, voici un rappel de quelques catastrophes, surtout les plus anciennes, incluses dans ce monde maintenant défini.
− Quelques éruptions anciennes
- Le 24 octobre de l’an 79 ap. J.-C, le Vésuve se réveilla au terme d’un repos de plusieurs siècles et détruisit les villes d’Herculanum, de pompéi et de Stabies.
- En 1783-1784, l’éruption fissurale (sur 27 km de long) du Laki, en Islande causa la mort de plus de 10 000 personnes et d’une importante partie du cheptel, par ses flots de lave et surtout par ses projections de gaz et de cendres, qui couvrirent l’ensemble de l’île et engendrèrent des famines, suivies de malnutrition et de maladies. La propagation des gaz sulfurés en Europe perturba le climat et généra un brouillard sec qui causa une surmortalité.
- En 1792, lors de l’éruption du mont Unzen, au Japon, un glissement de terrain déferla sur la ville de Shimabara et généra un tsunami en atteignant la baie, causant la mort d’environ 15 000 personnes.
- En 1815, l’éruption du Tambora en Indonésie causa directement la mort de 12 000 personnes et indirectement, par la famine qui s’ensuivit, celle de 80 000 autres. Les aérosols projetés dans la stratosphère impactèrent le climat au niveau mondial : 1816 fut l’année sans été, avec récoltes catastrophiques et famine dans certaines régions.
- En 1883, l’éruption du Krakatoa dans le détroit de la Sonde en Indonésie, fut particulièrement violente avec des cendres projetées dans la très haute atmosphère et un tsunami consécutif qui fit plusieurs dizaines de milliers de victimes.
− Quelques éruptions récentes
- Le 8 mai 1902 la ville de Saint-pierre de la Martinique fût anéantie avec ses 28 000 habitants par une nuée ardente fusant de la montagne pelée.
- Le 3 juin 1991, une nuée ardente du mont Unzen au Japon tue 43 personnes dont les volcanologues Katia et Maurice Krafft et Harry Glicken.
Connaissances sur les éruptions
Peut-être pour justifier le peu d’intérêt que le monde scientifique portait aux volcans, on qualifiait alors les déplacements de géologue sur des sites, « de voyage d’agrément et d’amusement des géologues, pour aller voir les maladies de la peau de la planète » (auteur non noté) !
Il est vrai que souvent les volcans étaient loin, d’approche difficile et mal connus, la géologie classique les classait comme des phénomènes superficiels, secondaires, épidermiques.
En tout cas les deux exemples suivants, datant du début du XXème siècle, montrent le long délai d’arrivée de l’information.
1. Éruption en 1902 de la montagne Pelée en Martinique
Au début du XXème siècle, en février 1902, la montagne pelée sort de son sommeil. Le volcan mythique déchaîne sa colère le 8 mai, par une « nuée ardente », en l’absence de témoin oculaire pour narrer scientifiquement ce désastre, causant en seulement quelques minutes la mort de 28 000 personnes, et dévastant 58 km2.
Alfred Lacroix, professeur de pétrographie et de minéralogie au Muséum à paris, est missionné sur place. Le 9 juin il embarque et débarque 14 jours plus tard, le 23 juin, en Martinique. Il y séjourne jusqu’au 1er août et le bateau le ramène en métropole le 16 août.
À peine est-il de retour que parvient en métropole la nouvelle de l’éruption meurtrière du 30 août qui a fait un millier de victimes à Morne rouge.
Le ministre des Colonies lui demande alors de repartir pour étudier le volcan mais aussi de mettre en place des mesures de sécurité. Il rassemble tout le matériel nécessaire : microscopes, plaques photographiques confiées par les frères Lumière, instruments séismiques et météorologiques... Il séjourne, de nouveau avec Madame Lacroix, au pied de la pelée du 1er octobre 1902 au 13 mars 1903. Le scientifique rapportera des clichés d’une importance primordiale, qui font encore autorité aujourd’hui. C’est lui qui donne le terme « nuée ardente » aux phénomènes dévastateurs observés en Martinique et qui sera utilisé tel quel par la suite (cf. Sur l’origine du terme ‘nuée ardente’ par Guy Caniaux & Simone Chrétien, LAVE n° 207, septembre 2022)
Le grand livre de Lacroix, la montagne Pelée et ses éruptions – 662 pages publiées chez Masson en 1904 – demeure la bible des volcanologues actuels. Dès son retour, Lacroix installe un poste d’observation au Morne des Cadets. Ce premier observatoire de la Pelée fonctionnera jusqu’en 1925, quatre ans avant l’éruption de 1929.
Mais peu d’informations sont fournies sur le moteur des éruptions...
12. le volcan llaima en éruption. Photographie prise le 9 janvier 1933 et parue dans « l’Illustration » du 25 février 1933.
2. Éruptions simultanées de plusieurs volcans au Chili en 1933 d’après « L’Illustration » n° 4695 du 25 février 1933...
« Depuis un an, les volcans des Andes chiliennes manifestent une très grande activité. Le 10 avril (...) 1932, plusieurs de ces appareils situés au sud-sud-est de Santiago et de Valparaiso (...), calmes depuis quelques années, se sont brusquement réveillés. (...) »
Or voici que, au début de cette année [1933], l’agitation volcanique a repris au Chili avec une nouvelle intensité (...). C’est d’abord le Llaima (figure 12), volcan en sommeil, superbe cône fumant au milieu de vastes champs de neige et de glace (...) [qui] le 7 janvier dernier a (...) lancé une pluie épaisse de cendres tandis que des coulées de lave sortaient de ses flancs. (...) »
« Aussi intéressante que ces phénomènes est la rapidité avec laquelle ils sont venus à notre connaissance. Le 7 janvier, les éruptions ont débuté, avons-nous dit ; le 9, ces deux photographies étaient prises ; le 11, elles étaient expédiées de Valdivia à Santiago, et, le lendemain soir, elles partaient par l’avion postal pour buenos Aires, d’où elles étaient immédiatement transportées, par aviso, vers l’Afrique, où elles étaient reprises par un avion de l’Aéropostale qui les amenait en Europe. Finalement, dans la matinée du 27 janvier, elles nous parvenaient, après un détour par Berlin où elles étaient arrivées le 25. Directement, nous aurions pu les avoir le 22. L’abondance des matières nous les a fait ajourner jusqu’à aujourd’hui ; il n’en résulte pas moins qu’actuellement quinze jours suffisent pour nous transmettre l’image d’un cataclysme se produisant dans les régions les plus reculées de la Cordillère des Andes. »
13. Haroun Tazieff, en janvier 1985. © laboratoire de pétrographie-volcanologie de l’université d’orsay - Paris sud.
Le moteur des éruptions avec Haroun Tazieff
Le moteur des éruptions, selon nos vues actuelles, est résolu... Enfin...
Après avoir assisté aux éruptions du Kituro et du Nyiragongo dans l’ex-Congo belge en 1948, Haroun Tazieff (1914-1998) (figure 13) explore et étudie les volcans du monde entier (Etna, Capelinhos, Merapi, Izalco, Erebus... au total près de 150 volcans actifs), insistant sur le rôle des gaz dans l’activité volcanique. Ingénieur agronome, géologue et ingénieur des mines, il innove de façon radicale, dès les années 1950, en étant le premier à monter des campagnes de mesures sur des volcans actifs ou en éruption pour étudier les variations de multiples paramètres, au cours d’expéditions réunissant des spécialistes des différentes disciplines des sciences de la Terre. Il imagine les techniques de prélèvement direct des gaz sur des volcans en éruption notamment avec François Le Guern. De nombreux instruments de mesure mis au point par les expéditions Tazieff sont encore utilisés aujourd’hui.
Avec ses équipiers, ils apporteront une contribution majeure à l’importance de la phase gazeuse, à l’explication de la répartition géographique du volcanisme et à la validation de la théorie de la tectonique des plaques.
Le fond... était en grande partie découvert, mais ça n’a pas été si simple et il faut continuer.
Il parle de ses travaux dans plusieurs ouvrages. Ci-après des extraits du deuxième chapitre Apprentissage de l’ouvrage Cratères en feu (1974).
Il était géologue, en 1948, au Congo belge chargé de lever une carte géologique. Ayant reçu un jour un pli officiel de son « big-chief » lui demandant d’aller observer dans la chaine des Virunga une éruption volcanique, il partit.
« Tout en conduisant la camionnette, je réfléchissais à mon nouvel office.
Un géologue qui s’occupe de volcans me dis-je, si j’ai bonne mémoire, ça doit s’appeler un volcanologue. (...)
Mais, sur le pourquoi des phénomènes volcaniques, sur le moteur qui pousse vers la surface le magma profond de la Terre, que savais-je ? De toutes ces ignorances, la plus grave à mes yeux était l’ignorance du métier de volcanologue. De précis en moi, il n’y avait guère que ma hâte, ma bonne volonté, une curiosité prête à s’ouvrir. Je m’efforçais, sans trop de succès, de me représenter ce qui m’attendait, d’imaginer le plan de bataille, et ces réflexions remplissaient une à une les heures cahotées de la nuit. »
Puis arrivé sur place, il raconte dans le premier chapitre Une promenade peu raisonnable au tout début du même livre :
« Debout sur le sommet du cône grondant (du Kituro situé entre le flanc ouest du Nyiragongo et le flanc sud du Nyamuragira), avant même de retrouver mon souffle coupé par la rude escalade, je plongeai mon regard dans le cratère.
Surprise : alors que, deux jours plus tôt, la lave rouge bouillonnait presque au ras de la lèvre gigantesque, aujourd’hui l’entonnoir m’apparaissait vide. Tout ce magma incandescent avait disparu, repris dans les profondeurs par le reflux d’une respiration mystérieuse. Quinze mètres sous mes pieds, rougeoyait, dans une sorte de vivante fureur, le large gosier de la cheminée d’alimentation. Un long instant, mes yeux ne purent se détacher de ce centre ardent, de cette étrange palpitation du gouffre. À des intervalles d’une minute, annoncées par un claquement sec, des rafales de projectiles jaillissaient, fusaient droit vers le ciel, s’épanouissaient en éventail de feu et s’abattaient, sifflantes, sur les flancs extérieurs du cône. Un peu tendu, prêt au saut de côté, j’observais cette pluie de trajectoires menaçantes.
À chaque sursaut de colère succédait une courte accalmie. brunes ou bleues, ces fumées s’exhalaient alors en lourdes volutes, cependant qu’un grondement sourd pareil à celui de quelque monstrueux molosse, faisait vibrer l’édifice du volcan. Mais les nerfs n’avaient guère le loisir de se détendre, tant se pressaient aussitôt la secousse sèche, l’éclatement, l’intensification momentanée de l’incandescence, le départ d’une salve nouvelle. Les bombes montaient en ronronnant et leur gerbe se dilatait là-haut pendant que tout entier je me tenais en suspens, attentif aux chuintements de plus en plus rapides, de plus en plus serrés, chacun terminé par un sourd impact... Sur leur noir lit de scories, les mottes de magma en fusion, molles encore, s’éteignaient lentement, l’une après l’autre.
(...) Quelques minutes encore à considérer avec soin le comportement du monstre. La solitude m’a habitué à parler seul : « bien sûr... faisable... »
Remonté le collet, bouclée la patte de la veste de grosse toile afin qu’une sournoise escarbille ne me pénétrât pas dans le cou... j’enfonçai sur mes cheveux le vieux feutre qui me tenait lieu de casque. A Dieu vat !
Avec une extrême prudence, j’abordai les quelques mètres de descente fort raide qui séparaient le sommet de la margelle à explorer. J’enjambai avec précaution une crevasse incandescente. Orangé intense, vibrante de chaleur, on l’eût dite ouverte dans une masse de braise. La fraction de seconde de ce pas a suffi pour roussir le drap épais de ma culotte. Une odeur de laine brulée m’emplit les narines... Cela promettait ! (...)
Ça y est ! J’ai atterri en aval de la fissure. Des cendres glissent, mais je m’arrête, sans trop de peine : la crainte de l’obstacle me l’avait fait surestimer. (...)
(...) les rugissantes éructations de lave, c’est trop à la fin. Je cède, je sens que je cède... J’ai tourné le dos. À quatre pattes, je cherche à escalader la pente devenue incroyablement redressée, qui s’effondre et s’abolit sous mon poids, qui m’entraîne... « Oh ! du calme, me dis-je. Une seconde de calme. Méthode, méthode. Sinon, mon petit vieux, fini ! »
« Cet immense effort : retrouver le contrôle de ses mouvements, l’indispensable maîtrise de ses nerfs, prendre sur soi de remonter posément cette courte pente qui s’effrite sous les pieds... Je suis parvenu enfin sur la crête, je m’y tiens debout un bref instant. Puis, contournant les deux fissures ardentes qui me barrent encore la route, j’atteins le point d’où l’on redescend vers les choses paisibles. »
L’extrait du premier chapitre (précédé de quelques lignes du second) de cet ouvrage relatant ses débuts de volcanologue alors qu’il n’avait pas suivi de cours de volcanologie (il y en avait peu à cette époque et le sujet était peu traité dans les livres de géologie), nous montre les difficultés et dangers de cette fonction de volcanologue qui, d’après lui, attirait peu les géologues, chimistes ou autres... Mais la première confrontation d’Haroun Tazieff au phénomène volcanique aura l’effet d’une révélation.
14. Katia et Maurice Krafft. site Fournaise-Info : https://fournaise.info/hommage-a-katia-maurice-krafft.
L’alerte... avec Katia (1942-1991) et Maurice Krafft (1946-1991)
Dans cette histoire sur le volcanisme, Katia et Maurice Krafft (figure 14) ont aussi leur place grâce à la vulgarisation des phénomènes volcaniques. Car outre l’étude des volcans, de leur origine, de leur dynamisme... la volcanologie a aussi pour but d’évaluer les risques pour protéger les populations.
Ils ont été profondément marqués par la tragédie d’Armero en Colombie où les lahars générés par l’éruption du Nevado del ruiz ont enseveli plus de 20 000 personnes en novembre 1985, mais aussi par le fait que les spécialistes qui ont alerté les autorités de l’imminence d’une éruption et de la nécessité d’évacuer n’ont pas été entendus.
Par la suite, en collaboration avec divers organismes internationaux, Maurice va travailler à la conception d’un film-choc (finalisé en 1990) sur la puissance destructrice des volcans déclinée en sept risques principaux « Understanding Volcanic Hazards » pour sensibiliser populations et autorités aux risques encourus et mettre en place des mesures de prévention.
En juin 1991, alors que l’activité du Pinatubo qui s’est réveillé aux Philippines s’intensifie, c’est grâce à la diffusion de ce film à la télévision que les officiels prennent au sérieux les signes annonciateurs d’éruption et que 300 000 personnes acceptent d’être évacuées. La grande majorité sera saine et sauve lorsque le 15 juin se produira le paroxysme qui sera l’une des éruptions les plus puissantes du XXème siècle.
Mais ayant disparu le 3 juin, moins de deux semaines auparavant, dans une nuée ardente de l’Unzen au Japon, Katia et Maurice ne le sauront pas.
In fine...
Avant de terminer cette synthèse sur 2 000 ans d’évolution de la connaissance du volcanisme, citons l’avant-propos de l’ouvrage Volcans (1993) de Jacques-Marie Bardintzeff (figure 15) dans lequel il donne les informations nécessaires aux découvreurs, non spécialistes, des volcans :
« Un volcan ! Ce simple mot suscite pour chacun d’entre nous une grande variété de sensations : crainte, admiration, rêve, évasion... (...)
Les volcanologues, véritables physiciens, chimistes et médecins de la Terre, s’intéressent à ce patient si particulier, et cherchent à prévoir ses futures crises de fièvre. (...) Parallèlement de plus en plus d’hommes et de femmes, des adolescents au « troisième âge », se proposent d’approcher, au moins une fois dans leur vie, un volcan. Car il est certain qu’un volcan peut constituer le but excitant d’un voyage : Hawaii, Équateur ou Indonésie ?
On comprend alors aisément que les amateurs et les professionnels soient réunis par cette même “passion des volcans” ! pourquoi pas vous ? »
15. Jacques-Marie Bardintzeff prélevant un échantillon de lave sur l’Etna en 2014. © André laurenti.
Et pour finir en beauté...
Katsushika Hokusai (1760-1849) voit le jour dans la banlieue de la capitale japonaise Edo (aujourd’hui Tokyo), dans le quartier de Honjo, sur la rive orientale de la Sumida.
Il est difficile d’imaginer un artiste japonais aussi célèbre, à la fois au Japon et dans le monde occidental.
la Grande Vague (figure 16) de Hokusai sera sans doute immédiatement reconnue comme oeuvre d’art japonaise, et c’est probablement en grande partie grâce à sa série des Trente-six vues du Mont Fuji (figures 17 et 18) que cette montagne est aussi universellement connue.
Avec le peintre Hiroshige (1797-1858), qui travaillait à la même époque et a produit des vues d’Edo mais aussi du Fuji, Hokusai est généralement considéré comme le plus grand paysagiste du Japon. (Cf. À propos du mont Fuji par Gilbert Cherroret, LAVE n° 211, septembre 2023).
16. la Grande vague de Kanagawa (1830 ou 1831) par Hokusai, l’une des Trente-six vues du mont Fuji. Metropolitan Museum of Art, Wikipédia.
17. le Fuji vu à travers le pont de Mannen à Fukagawa (1829-1833) par Hokusai, l’une des Trente-six vues du mont Fuji, Wikipédia.
18. Terrasse sazai, le temple de 500 rakan (1829-1833) par Hokusai, l’une des Trente-six vues du mont Fuji, Wikipédia.
Ouvrages cités et bibliographie
Cet article de synthèse est né de réflexions personnelles et de la compilation de nombreuses lectures d’ouvrages et de sites de références, notamment : Encyclopædia Universalis (en 20 volumes et site), Wikipédia, Futura-Sciences, planet-terre.enslyon.fr... J’ai une très grande bibliothèque scientifique, papier et dans mon ordinateur. beaucoup de mes textes, croquis et images en proviennent... ainsi que de ces ouvrages particuliers :
– Jacques-Marie Bardintzeff, 1993, volcans, Armand Colin, 184 p.
– Matthi Forrer, 1996, Hokusai, bibliothèque de l’Image, 96 p.
– Muriel Gargaud, Didier Despois et Jean-paul Parisot, 2001, l’environnement de la Terre Primitive, presses Universitaires de bordeaux, 577 p.
– Roland Omnès, 2008, la Révélation des lois de la nature, Odile Jacob, 232 p.
– Jacques Reisse, 2011, la longue histoire de la matière, puf, L’interrogation philosophique, 320 p.
– Carlo Rovelli, 2009, Anaximandre de Milet ou la naissance de la pensée scientifique, Dunod, 185 p., ISBN 978-2-10-052939-1
– Haroun Tazieff, 1974 & 1996, Cratères en feu, Arthaud & Gallimard, 254 p. (281 p.), ISBN 2-7003-0252-4
– Pierre Thomas, 2020, les komatiites, des laves ultrabasiques archéennes, témoins d’une Terre interne très chaude, https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/Img687-2020-09-28.xml
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Mon propos ne sera pas de développer les nouvelles avancées des sciences de la Terre sur la tectonique qui expliquent le « moteur » du volcanisme pour le comprendre, mais de faire un retour en arrière depuis la pensée grecque jusqu’à nos jours ...