Thématique ... Peintures
Article publié dans la revue LAVE N°216
José Maria Velasco
le premier peintre des volcans mexicains
Dominique DECOBECQ
[ Au XIXème siècle, plusieurs peintres ont représenté le Vésuve (le plus souvent en éruption), parfois l’Etna, mais au-delà de l’océan Atlantique d’autres peintres exprimaient leurs sensations devant un volcan. Ainsi, nous avons voyagé avec la revue LAVE dans les grands espaces américains au Yellowstone grâce à Thomas Moran (LAVE 174), en Équateur (Cotopaxi et le Sangay) avec Edwin Church (LAVE 180) et à Hawaï en suivant le français Jules Tavernier (LAVE 182). Pour cette revue 216, nous partons au Mexique, déjà abordé avec le Dr Atl (le peintre du Paricutin - LAVE 50 et 166) avec José Maria Velasco (1840-1912), un artiste majeur du Mexique. ]

1. La vallée de México depuis las lomas de Dolores (1875), par José Maria Velasco.
Huile sur toile © Museo Nacional de Arte (MUNAL), México.
José Maria Velasco
Ce peintre mexicain du XIXème siècle est une célébrité culturelle au Mexique, l’équivalent pour la même époque à Gustave Courbet (1819-1877), le peintre des paysages du Jura. José Maria Velasco est né, le 6 juillet 1840, à Temascalcingo, dans l’État de México. Il commence à travailler très jeune dans un magasin de vêtements, mais il arrive à suivre, alors qu’il n’a que 15 ans, des cours du soir à l’Académie royale des beaux-arts de San Carlos de México. En effet, il a des prédispositions pour le dessin et plus particulièrement pour la peinture des paysages du Mexique. Il suit les cours du peintre italien Eugenio Landesio qui est arrivé au Mexique en 1855. Il enseigne l’art de magnifier les paysages du Mexique.
Avec l’invention du tube souple de peinture, il peut sortir de son atelier et peindre d’après nature. Ses plus nombreux tableaux, au cours de sa longue carrière de peintre, sont des paysages de la vallée de México depuis plusieurs sites et à différentes dates (photos 1, 2, 3, 4, 5, 12 et 13). Dans cette vallée, deux volcans dominent : le Popocatépetl (5 450 m) situé à 60 km de la Ciudad México (à droite) et le volcan plus ancien (à gauche) et dont le démantèlement par l’érosion a débuté : l’Iztaccihuatl (5 220 m).

2. La vallée de México depuis l’hacienda de Chimalpa (1893), par José Maria Velasco. Huile sur toile (106×160 cm). Le Popocatépetl est situé ici à gauche de la toile.
© Museo Nacional de Arte (MUNAL), México.

3. Vallée de México depuis el Molino del Rey (1900), par José Maria Velasco. Huile sur toile.
© Museo Nacional de Arte, México.

4. Valle de México desde el tepeyac (1905). Huile sur toile (46×61 cm). Ce tableau a été peint entre 1901 et 1905 d’après les croquis de Velasco. En effet, à la fin de sa vie il ne pouvait plus se déplacer. La colline de tepeyac est au Nord de Mexico. Marché de l’art.

5. Valle de México depuis le rio Morales (1891), par José Maria Velasco.
Huile sur toile © Museo Nacional de Arte, México.
Ce peintre paysagiste, curieux de la nature de son pays s’intéressa aussi à la botanique et plus particulièrement aux cactus et agaves du Mexique ainsi qu’à la géologie en réalisant de nombreux tableaux d’éboulis et de rochers. Il relia la botanique et la géologie en reconstituant, sous formes de tableaux, la flore et la faune de différentes ères géologiques (photo 6).
Les tableaux de José Maria Velasco, au-delà de leurs créations artistiques, sont devenus des archives picturales d’un paysage qui semblait immuable et qui a été inéluctablement modifié en moins d’un siècle. Ce bassin du Mexique (connu aussi sous le nom de bassin d’Anahuac), qui fascine Velasco, est situé au Sud du plateau mexicain et au centre de la trans-Mexican Volcanic Belt (TMVB) qui est bordée par des systèmes volcaniques.

6. La faune et la flore marine du Mésozoïque.
Étude géologique par José Maria Vélasco.
© Museo Nacional de Arte, México.
La disparition des glaciers mexicains !
Ce qui est marquant dans les tableaux de Velasco c’est de découvrir que le Popocatépetl (5 450 m) et l’Iztaccihuatl (5 220 m) sont encapuchonnés par les glaciers et la neige (photos 1 à 5). Un siècle plus tard, notre peintre serait bien désappointé, car les glaciers de ces deux sommets ont fondu et la neige ne persiste plus que quelques jours.
Ces glaciers du Mexique étaient un héritage du Dernier Maximum Glaciaire, (26 000–19 000 ans) et ils avaient pu (une dernière fois ?) croître au cours de la période du Petit Âge Glaciaire (1300 à 1850). Des moraines témoignent d’une extension maximale des glaciers du Popocatépetl jusqu’à 4 150 m.
L’Iztaccihuatl
Dans les années 1960, l’Iztaccihuatl était encore riche de douze petits glaciers représentant une surface d’environ 1,4 km2 (vers 1850, ces glaciers présentaient une superficie d’environ 6,4 km2).
En 1982, trois glaciers avaient déjà disparu et la superficie totale des glaciers s’était réduite à 0,97 km2. Aujourd’hui, il ne reste plus que le glacier El Pecho (d’une épaisseur moyenne de 20 m !) dont la fin est proche (photo 7).

7. Le sommet de l’Iztaccihuatl en 2014.
Image © Diego Cue/CC BY-SA 3.0.
Le Popocatépetl
La première représentation du Popocatépetl avec son glacier est un dessin tiré du codex Vindobonensis Mexicanus. Ce codex anonyme réalisé en 1500 (avant l’arrivée des conquistadors en 1519) représenterait des événements survenus entre 948 et 1346.
Dans ce codex (photo 8) on y voit une grande montagne, le Popocatépetl, avec des flammes sortant du cratère, mais dont le sommet est recouvert de neige et de glace. Sur la même illustration d’autres volcans mexicains sont représentés : Pico de Orizaba (la montagne des souris), Malinche (la montagne bleue) et l’Iztaccihuatl (la montagne blanche couverte par la neige).

8. Détail du codex Vindobonensis Mexicanus avec la représentation de quatre volcans mexicains : le Popocatépetl (en haut à gauche), le Pico de Orizaba (en haut à droite), le Malinche (en bas à gauche) et l’Iztaccihuatl (en bas à droite).
Les glaciers du Popocatépetl
Dans les années 1990, le Popocatépetl recueillait encore trois glaciers accolés, qui étaient situés sur son flanc Nord. Le plus important le Ventorillo (0,4 km2) était bordé par deux petits glaciers Norte (0,2 km2) et Noroccidental (0,12 km2.)
Par comparaison, la mer de Glace, dans la vallée de Chamonix (qui se réduit également en surface, mais surtout en épaisseur) ne fait plus que 30 km2.
Depuis 1990, au fil des années, le glacier de Ventorillo se réduisait comme peau de chagrin, et les glaciologues estimaient sa durée de vie pour au mieux une cinquantaine d’années. Si en 1519, le front du glacier Popocatépetl était estimé à une altitude de 4 150 m, il était en 1906, à 4 335 m. En 1994, il était remonté à 4 702 m d’altitude.
Le phénomène de disparition inévitable du glacier s’accéléra quand, le 21 décembre 1994, après une cinquantaine d’année d’assoupissement, le Popocatépetl se réveilla. Ce furent d’abord de fortes explosions qui générèrent des panaches de cendres.
Quelques temps plus tard, une zone fumerolienne apparut sur le bord Ouest du glacier en concomitance avec la croissance d’un dôme de lave dans le cratère de 1920. Ce dernier sera rempli complétement le 29 mars 1996, par le dôme de lave. Les volcanologues mexicains dénombreront, entre 1996 et 2000, l’apparition et destruction de neuf dômes successifs.
Des nouveaux éléments s’ajoutaient ainsi au changement climatique dans la responsabilité de la fonte des glaciers du Popocatépetl. Les retombées de cendres et la mise en place de fumerolles accélérèrent la fusion des glaciers du volcan. Paradoxalement, si les retombées de scories, de faible épaisseur, se comportaient comme un isolant naturel pour le glacier, celui-ci étant dissocié de la surface, il n’était plus alimenté par les chutes de neige de l’hiver.
La fin du glacier pour les glaciologues mexicains est datée du 22 janvier 2001. Ce jour-là, une nouvelle explosion plus importante détruisit le dôme de lave avec l’émission d’une colonne plinienne de 8 km de haut générant des coulées pyroclastiques qui retombèrent sur le flanc Nord-Est du Popocatépetl. En quelques heures, le glacier fut « raboté » d’environ 1 million de m3 de glace. Cette masse d’eau et de cendre produira des lahars (au Nord-Ouest) qui se développèrent sur 15 km et s’arrêtèrent à 1 km de la ville de Santiago Xalitzintla. À la suite de cet évènement, le glacier fut déstructuré et les glaciologues considèrent qu’il n’existe plus de véritable glacier. Il ne reste que des lambeaux de glace préservés sous les couches de cendres, mais qui ne peuvent pas être alimentés en neige. Avec cette disparition (photo 9) le risque de lahar s’amoindrira alors que l’activité du volcan ne diminuera pas avec la mise en place et la destruction de plus de 50 dômes de lave.

9. Le Popocatépetl avec un panache de cendre qui recouvre de cendres son sommet. image acquise le 27 janvier 2024.
Image © NASA Earth Observatory image Landsat 8, système OLI, Michala Garrison.

Tableau 1. Évolution de la surface du glacier du Popocatépetl entre 1982 et 2003. Données d’après P. Julio Miranda et al. (2008).
Le bassin de México
José Maria Velasco dans plusieurs peintures représente aussi la ville de México avec ses clochers et le dôme de sa cathédrale et à l’horizon ses volcans fétiches (photos 4, 5, 10 et 13). Les tableaux montrent un ciel d’altitude (la cité de México est à 2 200 m d’altitude) à l’époque sans pollution. Depuis, le paysage s’est transformé avec la ville de México (une des plus grandes métropoles au monde avec 22 millions d’habitants) qui s’est étendue à perte de vue. Ce paysage est aujourd’hui moins bien visible à la suite de la pollution atmosphérique (2,3% des gaz à effet de serre dans le monde seraient produits par cette mégalopole).

10. Valle de México desde el cerro de Santa Isabel (1875), par José María Velasco. Sur cette toile, on découvre la vallée de Mexico avec son lac imposant présent à l’époque.
Huile sur toile (137,5×226 cm) © Museo Nacional de Arte, México.
Disparition des lacs du bassin de México
Ce bassin de México daterait de la fin du Tertiaire et abritait, il y a encore quelques siècles (avant la colonisation espagnole), un grand lac (photos 11 et 12), «Le Grand Lac du Mexique » estimé à 9 600 km2.
Pendant la saison sèche, ce grand lac était scindé en cinq plus petit lacs qui, à l’époque préhispanique, étaient nommés les lacs Zumpango, Xaltocán, Texcoco, Xochimilco et Chalco. Ces cinq lacs étaient reliés pendant les périodes de fortes pluies et formaient un seul grand plan d’eau, ils étaient aussi des voies de communication privilégiés (photos 11 et 12).
Les tableaux (photos 10 et 13) de José Maria Vélasco permettent de découvrir ces lacs décrits par Alexandre Humboldt, qui étaient encore présents à la fin du XIXème siècle.

11. Lacs du Mexique dans Voyages de François Coreal aux Indes Occidentales, contenant ce qu’il y a vu de plus remarquable pendant son séjour depuis 1666, jusqu’en 1697. Traduit de l’espagnol.

12. Carte du bassin de México avec le positionnement des lacs au cours du temps : le Grand lac et le report des lacs selon la carte de Humboldt (1807) et les reliques de ces lacs. D’après eugenia Lopez-Lopez et al. (2023).

13. Le lac Chalco et les volcans (1891), par José María Velasco. Huile sur toile. L’artiste se rapproche des deux volcans emblématiques du Mexique. Nous sommes ici à environ 45 km à vol d’oiseau du cratère du Popocatépetl. Ce lac a été à la fin du XIXème siècle en grande partie asséché. Un forage, en 2016, dans ce lac (dans le cadre du MexiDrill project) a traversé 520 m de sédiments lacustres. Le tableau permet de découvrir entre les volcans et le lac : la chaîne volcanique de Chichinautzin de 90 km de long (avec à droite le caractéristique volcan Xico). En bas du tableau, une route peu fréquentée à l’époque.
Pico de l’Orizaba (Citlaltépetl)
José Maria Velasco ira aussi sur les pentes du Pico de l’Orizaba (nommé aussi Citlaltépetl), l’autre volcan imposant à l’Est de ce plateau. Cet édifice, le plus haut du Mexique avec ses 5 675 m d’altitude, est un volcan actif, même si sa dernière éruption remonte à près de 180 ans (1846). Il abrite un glacier bien représenté dans les tableaux (photos 15, 16 et 17) de José Maria Velasco. Ce glacier de l’Orizaba (photo 14) diminue lui aussi rapidement au fil des années. Pourtant les glaciers de ce volcan sont moins soumis à l’activité volcanique et à la pollution atmosphérique.
Tout le côté nord du cône supérieur du Citlaltépetl est couvert par le Gran Glaciar norte, qui remplit un plateau allongé. Dans les années 50, le glacier principal s’étendait sur 3,5 km au nord du bord du cratère avec une superficie d’environ 2,23 km2 et il descendait jusqu’à 4 650 m d’altitude.

14. Le sommet du Pico de l’Orizaba en 2016.
Image © Luis Sanchez/CC BY-SA 2.0.

Tableau 2. Évolution du glacier Norte de l’Orizaba entre les années 2000-2007, d’après les données de Jorge Cortés Ramos et Hugo Delgado Granados (2013).

15. Le Pico d’Orizaba depuis l’hacienda de San Miguelito (1891), par José Maria Velasco. Huile sur toile.
L’éruption du volcan El Ceboruco
José Maria Velasco ne verra pas ses volcans préférés en éruption. En effet, l’Iztaccihuatl est considéré comme un volcan éteint, et quant au Popocatépetl s’il présente une forte activité, il eut de longues périodes d’accalmie dont celle très longue (115 ans) qui se déroula entre 1804 et 1919, quant à la dernière éruption du Pico d’Orizaba elle remonte à 1846. Cependant, il pourra lors d’une expédition scientifique, observer l’éruption du El Ceboruco. Elle débuta le 23 février 1870 pour se terminer en 1875. Ce volcan qui se situe à l’Est sur la trans-Mexican Volcanic Belt est depuis près de 150 ans en sommeil. Il réalisera un pastel (photo 18) qui sera repris dans une lithographie pour l’article de Caravantes décrivant cette éruption. Il effectua aussi une peinture de cette éruption (photo 19), avec des coulées sortant d’un cratère. La première véritable peinture d’une éruption volcanique mexicaine ?

16. La Cañada de Metlac (1893). Au loin, le Pico d’Orizaba par José Maria Velasco. Le début d’un nouveau monde avec l’apparition du chemin de fer entre México et Veracruz.
Huile sur toile (160×105 cm) © Museo Nacional de Arte, México

17. Le volcan d’Orizaba par José Maria Velasco.
© Museo Nacional de Arte, México.

18. Pastel et aquarelle sur papier par José Maria Velasco, l’artiste devient naturaliste en décrivant une colonne éruptive principale qui sort du cratère de 1870. À gauche de cette colonne : deux nuages générés par l’avancée de la coulée de lave le long de la barranca de Los Cuates. À droite, ce serait un incendie de forêt associé à la mise en place de la coulée de dacite de 1870.
© Museo Nacional de Arte, México.

19. Éruption. par José Maria Velasco. Huile sur carton. On peut considérer que c’est l’éruption du El Ceboruco en 1870.
© Museo Nacional de Arte, México.
Références bibliographiques
– Caravantes A. (1870) : El Ceboruco. La Naturaleza, Periódico Científico de la Sociedad Mexicana de Historia Natural, Tomo 1. Imprenta de Ignacio Escalante, Mexico, pp. 248-252.
– Dominique Decobecq et Claude Grandpey (2022) : Histoires de volcans. Chroniques d’éruptions. Éditions Omniscience, 288p.
– Hugo Delgado Granados, P. Julio Miranda, C. Huggel, S. Ortega del Valle, M. A. Alatorre Ibargüengoitia (2007) : Chronicle of a death foretold: Extinction of the small-size tropical glaciers of Popocatépetl volcano (Mexico). Global and Planetary Change 56, pp. 13-22.
– López-López Eugenia, Heck Volker, Sedeño-Díaz Jacinto Elías, Gröger Martin, rodríguezromero Alexis Joseph (2023) : A comparing vision of the lakes of the basin of Mexico: from the first physicochemical evaluation of Alexander von Humboldt to the current condition. Frontiers in environmental Science. Vol 11.
– Ana Lillian Martin-Del Pozzo & Alan rodríguez & Jorge Portocarrero (2016) : reconstructing 800 years of historical eruptive activity at Popocatépetl Volcano, Mexico. Bull Volc. (2016) 78: 18.
– P. Julio-Miranda, H. Delgado-Granados, C. Huggel, Kääb (2008) : Impact of the eruptive activity on glacier evolution at Popocatépetl Volcano (México) during 1994-2004. JVGR 170, pp. 86-98.
– Altamirano Piolle, María Elena. 1997. José María Velasco científico. Ciencias, núm. 45, eneromarzo, pp. 32-35.
– C. robin (1984) : Le Volcan Popocatepetl (Mexique) : structure, évolution pétrologique et risques. Bull. Volc., 47 pp. 1-23.
– Jorge Cortés ramos et Hugo Delgado Granados (2013) : La evolución del mayor glaciar de México vista desde el espacio México: UNAM, Coordinación de estudios de Posgrado, 148 p.
– Katrin Sieron, Claus Siebe (2008) : revised stratigraphy and eruption rates of Ceboruco stratovolcano and surrounding monogenetic vents (nayarit, Mexico) from historical documents and new radiocarbon dates. JVGR, 176, pp. 241-264.
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