Hommage au Professeur Robert BROUSSE
Le Professeur Robert Brousse nous a quittés le 12 mai 2010 et c'est un grand pétrographe qui est parti
Né le 23 février 1929 à Meymac (Corrèze), il a grandi à La Bourboule, au coeur de son cher volcan du Mont-Dore. Il entre à l'École normale d'instituteur de Clermont-Ferrand. Ses résultats excellents lui permettent de suivre une classe préparatoire au Lycée Chaptal, à Paris, pour intégrer la prestigieuse École Normale Supérieure de Saint-Cloud où il réussit l'agrégation. li est alors recruté, en 1954, comme assistant du Professeur Jean Jung à la Sorbonne, Il rédige une thèse d'Etat remarquée sur la géologie et la pétrologie du massif volcanique du Mont-Dore, soutenue en 1960. En 1962, il devient, à Orsay, un des plus jeunes professeurs des universités de France : il occupera ce poste jusqu'à sa retraite en 1994. Sa trajectoire témoigne merveilleusement de «l'ascenseur social républicain».
Sa passion dévorante pour la pétrographie le conduit d'Iran au Chili en passant par le Cameroun. Mais ses deux « jardins » sont l'Auvergne et la Polynésie française (avec les fameux Cahiers du Pacifique). Il forme des doctorants, dirige son laboratoire de pétrographie et volcanologie, y accueille Haroun Tazieff (qu'il retrouvera plus tard lors d'un mémorable match de rugby), publie quantité de notes. Son épais tome de pétrologie (éruptive, métamorphique et sédimentaire), véritable bible au sein de la trilogie des Précis de géologie éditée chez Dunod avec Jean Aubouin et Jean-Pierre Lehman, reste longtemps une référence.
A titre personnel, j'ai rencontré le Professeur Brousse à l'École Normale Supérieure de Saint-Cloud, à la rentrée 1975, alors que je préparais l'agrégation. Immédiatement, j'ai été enthousiasmé par ses conférences il parlait d'un ton doctoral, avec le sens de la formule. Ses phrases tombaient, pesantes, quasi définitives. Pédagogue hors pair, il maniait en outre l'humour avec un certain bonheur. Au cours de l'année, il nous a présenté, avec une grande clarté, l'ensemble du magmatisme : la fusion partielle du manteau supérieur, la genèse des basaltes, la chambre magmatique et la différenciation par cristallisation fractionnée... La volcanologie prenait ainsi une autre dimension. Les dynamismes éruptifs, phénomènes superficiels mais parfois fort dangereux, étaient reliés à l'évolution profonde des magmas. De plus, il nous a impérialement guidés sur les volcans d'Auvergne, du Cantal au Mont-Dore et jusqu'à la chaîne des Puys.
Le 1er octobre 1977, il m'a recruté comme assistant à Orsay et j'ai eu la chance et l'honneur d'être son collaborateur jusqu'en 1994... soit 17 ans. J'éprouvais pour lui du respect et de l'amitié, ce qui n'est pas contradictoire. Notre passion commune pour le sport (il avait joué au rugby dans l'équipe de Montferrand) nous avait encore plus rapprochés. J'ai beaucoup appris de mon "père géologique".
Jacques-Marie BARDINTZEFF
Si je vous dis cantalite, très peu de lecteurs, je pense, savent que cette roche magmatique est la seule obsidienne trouvée en France dans un filon à la base du Puy Griou, analysée, et baptisée cantalite par le Professeur Brousse.
J'ai rencontré le Professeur Brousse en 1979, lors d'une conférence en région parisienne ; comme à chaque fois, j'aimais lui parler de cette fameuse éruption que nous avait délivrée la Soufrière de la Guadeloupe en 1976. Il me répondait en particulier et nous avions sympathisé. Quelques années après, il était devenu notre Président d'honneur. Il nous laisse un patrimoine scientifique impressionnant à travers les guides Masson sur le volcanisme du Massif central, que je ne manque jamais de mettre dans le sac à dos lors de mes escapades volcanologiques.
Avec des documents originaux de l'époque, il avait réalisé un film remarquable sur l'éruption de la Pelée... en 16 mm. La dernière fois que j'ai assisté à une projection de ce film, je me souviens avoir réceptionné au moins un tiers du film sur les genoux, une pièce du projecteur ayant lâché.
Claude LESCLINGAND, Président d'honneur de L.A.V.E.
Monsieur Brousse nous a quittés en ce mois de mars. Originaire de La Bourboule, agrégé de l'E.N.S. de Saint-Cloud, c'est dans le Mont-Dore qu'il fait sa thèse, soutenue en 1961. C'est à lui que nous devons le laboratoire de Pétrologie-volcanologie créé en 1966 dans la toute nouvelle faculté des Sciences de Paris Sud-Orsay, encore en construction. Cette même année, il crée un D.E.A. (Diplôme d'Etudes Approfondies) conduisant à une thèse de troisième cycle et, pour certains, à une thèse d'État (voir l'introduction de l'article de Sylvain Blais dans LAVE 142, janvier 2010). Pour ce D.E.A., il avait fait appel à des spécialistes qui tous nous passionnaient. C'est dans le volcan du Cantal que ses premières équipes sont initiées au terrain et lèvent les premières cartes géologiques au 1/50 000. Si depuis l'éruption du Mont St Helens le regard porté sur ces deux massifs, Mont Dore et Cantal, a beaucoup évolué, le travail réalisé à cette période a été une étape importante dont le Professeur Brousse aimait à se souvenir. Très vite aussi ses études se sont étendues au volcanisme ardéchois, aux pointements des Causses...
L'ambiance au laboratoire était studieuse mais aussi amicale, le Professeur Brousse en gardait un excellent souvenir et appréciait d'avoir quelques nouvelles des anciens.
En collaboration avec le laboratoire des Faibles Radioactivités du C.E.A.-C.N.R.S., alors piloté par Jacques Labeyrie, des datations potassium/argon des différentes phases d'activité du Cantal ont été elles aussi une nouvelle étape de la connaissance de cet édifice.
Bien sûr, appartenant à cette première équipe du Cantal, ce que doit la volcanologie au professeur Brousse est ici évoqué de Façon géographiquement trop partielle. Directement ou indirectement, par l'intermédiaire de ses étudiants métropolitains ou des D.O.M. disséminés dans tant de régions volcaniques du monde, par les étudiants venus de ces différents pays, la volcanologie lui doit beaucoup.
Mais Monsieur Brousse était aussi un homme d'une grande culture, aimant à dénicher les livres anciens dans les brocantes, tout particulièrement en Auvergne et Limousin où il séjournait fréquemment. Il lui est arrivé d'y trouver son «Traité de pétrologie» (éditions Masson, 1967) qui a longtemps été un ouvrage de référence pour les étudiants. Il consacrait beaucoup de temps à la lecture, s'intéressait à la nature, à l'histoire, aux arts en général, particulièrement à la peinture... Il avait aussi réalisé un CD concernant le patrimoine du Limousin.
Monsieur Brousse était une personne attachante. Mes meilleurs souvenirs sont certainement ces journées de terrain dans le Cantal, y compris sous les pluies battantes qui ne l'arrêtaient pas. C'est plus particulièrement là que j'ai apprécié ses qualités pédagogiques, sa simplicité aussi. Les haltes étaient ponctuées d'anecdotes, d'histoires, la grande et l'histoire locale, de découverte du patrimoine bâti... Il aimait profondément l'Auvergne, ses volcans, et savait communiquer cette passion.
Je pense à Madame Brousse qui se trouve désormais dans une grande solitude.
Marie-Jo LE GARREC
Chacun de nous, du moins je le souhaite, croise pendant sa jeunesse de ces êtres qui marquent une vie et qui nous guident ensuite dans nos choix et nos actes.
Le départ du Professeur Brousse laisse en moi un bien grand vide, parce qu'il m'a formé à la science et initié au plaisir que procure la fréquentation des volcans. Mais, parce que l'homme était à la hauteur du savant, parce que chaque jour son enseignement guide encore mes pas sur telle ou telle méthode qu'il conviendrait d'appliquer... alors oui, ma peine est grande, mais la certitude de l'empreinte forte qu'il a laissée en l'homme que je suis devenu apaise le manque.
Souvent, mon oeil regarde un paysage et pense à son enseignement, au naturaliste qu'il était et aux capacités d'observation qu'il a voulu me léguer; c'est aujourd'hui encore la clé de nombre de mes actions professionnelles, 25 ans plus tard : observer et essayer de comprendre, d'abord en grand, puis de plus en plus près. C'est vrai pour un volcan, pour les relations entre les hommes aussi...
Que dire de sa rigueur scientifique et de son niveau d'exigence? Bien sûr cette exigence s'est parfois traduite en coups de sang, voire en envol de thèse dans son bureau! Chaque jour, pourtant, j'essaye avec humilité d'avoir la même exigence (et le même respect) à l'égard des jeunes qui travaillent à mes côtés : leur apprendre à ne pas tolérer le médiocre, pour le respect d'eux-mêmes.
Le professeur Brousse était volontiers truculent, extraverti, voire provocateur : nos discussions en « salle de café » sont des souvenirs forts pour moi et nombre de ceux qui fréquentèrent son laboratoire.
Pourtant, Robert Brousse était fort pudique de ses sentiments et de sa vie privée : j'ai appris au fil des ans à connaître ses blessures et je garde précieusement pour moi l'image de l'homme assis au bord du lagon, blaguant avec de jeunes enfants d'une île du bout du monde, prenant le temps d'être attentif aux autres et surtout aux plus humbles d'entre nous. D'avoir appris à savourer avec lui cette quiétude malgré l'urgence de tout est un autre de ses enseignements.
Ses témoignages d'amitié vraie étaient donnés avec pudeur mais leur valeur était réelle. J'ai pu en bénéficier, ïl y a peu encore. Et pourtant, il est le seul, je crois, que j'ai toujours vouvoyé.
Alors, pour une part de ce que je suis, pour ce que vous m'avez donné merci Professeur!
(Thèse soutenue en 1989 sur la volcanologie de l'île de Tahaa, au sein du laboratoire de Pétrographie-volcanologie de l'université d'Orsay Paris-XI)
Thierry GISBERT
Ancien élève du Professeur Robert Brousse, je voudrais apporter mon témoignage sur un homme que j'ai bien connu, puisqu'il m'a accompagné au cours de mes études de géologie à l'université d'Orsay de 1977 à 1982,
J'ai fait la connaissance du Professeur Brousse lors de mon arrivée à Orsay, où il enseignait la pétrologie en première année de maitrise de géologie. Cet homme, par sa prestance et sa notoriété nous impressionnait beaucoup et, lorsqu'il pénétrait dans l'amphithéâtre, toujours muni de son précis de pétrologie en main, le silence se faisait immédiatement. Cependant, malgré l'atmosphère un peu tendue qui régnait lors de ces séances, il arrivait qu'il nous racontât quelque brève anecdote avec un humour parfois caustique, ce qui pouvait surprendre tant le personnage paraissait austère et grave. Nous, étudiants, on aimait bien ces digressions distinguées qui détendaient un peu le climat.
En stage, en Auvergne, l'homme conservait son autorité avec encore un peu de componction et les commentaires descriptifs ou explicatifs qu'il faisait à propos d'un affleurement admettaient peu facilement la remarque. A propos d'autorité, dans une carrière, près d'Orcival, un assistant de M. Brousse, qui pensait s'affranchir de prendre des notes, se fit reprendre sèchement : «M. Untel, vous ne prenez pas de notes?» ! Mais il savait nous faire rire aussi. Ainsi, un jour, arrivant en autocar dans un petit village perdu, où affleurait du basalte demi-deuil, il nous dit : «Messieurs, c'est la première fois qu'un autocar-pénètre dans ce patelin, c'est moi qui vous le dis» !
Le soir, en revanche, on rigolait moins car, après une journée consacrée au lever géologique, chaque binôme passait au rapport. Assis de part et d'autre du Professeur Brousse, nous devions relater notre parcours de la journée et montrer nos échantillons. Instants difficiles soumis aux regards des autres qui attendaient leur tour! Le Professeur Brousse accordait une grande attention à la qualité des échantillons récoltés. Malheur à ceux qui s'étaient contentés de ramasser quelques vagues menus morceaux car ils se voyaient gratifiés d'une réflexion du genre "vos échantillons et le ciel étoilé, on ne voit pas la différence ?»
Au laboratoire, le Professeur Brousse, en tant que patron, était un homme modeste qui n'accordait pas d'importance au paraître. Un visiteur qui se serait égaré de façon fortuite dans l'étroit couloir du laboratoire de pétrographie du bâtiment 504 aurait été bien étonné d'apprendre que le monsieur en blouse de nylon grise qui circulait de façon plutôt décontractée, en fumant la pipe ou la cigarette, était l'une des plus grandes figures françaises et internationales de la pétrologie de l'époque.
Doté d'une culture qui dépassait largement le champ de la géologie ordinaire, d'une vivacité d'esprit et d'une mémoire impressionnantes, le Professeur Robert Brousse était vraiment un grand universitaire. Sa disparition me peine comme me peine celle du Professeur Jan Hutton Brun, d'Orsay également. Je conserverai longtemps le souvenir de l'homme qui m'a fait découvrir l'Auvergne et la pétrologie, deux centres d'intérêts auxquels je m'intéresse encore aujourd'hui.
Jacques ROCCHIA
Je me souviendrai toujours de mon arrivée au laboratoire de Pétrologie-volcanologie d'Orsay, moi la timide étudiante issue d'une université lilloise... Je rencontrai alors un monsieur qui m'a, d'un premier abord, impressionnée par sa stature et par son air quelque peu bougon, un bout de cigarette ou de cigarillo au coin des lèvres. La première impression n'étant pas toujours la meilleure, je m'aperçus vite que le Professeur Brousse — que je venais de rencontrer là — était un homme simple, bon et paternaliste envers nous, ses chers étudiants.
Durant nos années de D.E.A. puis de thèse, le Professeur Brousse a toujours été à notre écoute et de bons conseils. Nous avions partagé de très bons moments et il fourmillait d'anecdotes croustillantes. Il m'avait, à l'époque, confié un des sujets les plus exotiques qui soient, l'étude de l'île de Hiva Oa dans l'archipel des Marquises, très connue pour les célébrités qui y reposent dans le petit cimetière d'Atuona Paul Gauguin et Jacques Brel. J'ai intensément aimé cette île que j'ai retrouvée plusieurs années plus tard, et je ne remercierai jamais assez notre cher Professeur de m'avoir ainsi permis de connaître ce fenua Porinetia, cette Polynésie, devenue si chère à mon coeur...
Le destin fait bien les choses, car vingt ans, jour pour jour, après ma soutenance de thèse, j'ai décroché un contrat de travail de quatre années dans l'enseignement supérieur à Tahiti. Je me souviendrai toujours du bonheur et de la fierté qu'a ressentis notre cher Professeur lorsque je lui ai fait part de cette nouvelle ! Il m'a alors écrit combien il m'enviait d'aller vivre dans ce paradis qu'il affectionnait tant, et qui est si attachant. Revenue depuis peu en métropole, la Polynésie me manque autant qu'elle aura manqué au Professeur Brousse... Il restera l'un des éminents spécialistes de la géologie polynésienne qui lui doit énormément et nous regrettons tous son départ.
Kaoha nui tumu hakako Brousse ! Hiamoe atenoho ! (marquisien)
Aroha orometua ha'api'i Brousse! Pa'ono'ono'o ! (tahitien)
Adieu Professeur Brousse ! Reposez en paix !
Anne-Marie MARABAL-GONZALES, ex-correspondante Polynésie L.A.V.E.
Cher Monsieur Brousse,
C'est avec une grande tristesse que j'ai appris votre disparition.
Il y a eu 30 ans en septembre dernier, vous m'aviez accueillie avec une bienveillance toute paternelle, moi petite provinciale qui n'avais jamais vu Paris et arrivais à Orsay pour le D.E.A. de Volcanologie et géothermie. J'étais alors loin d'imaginer que nous allions nous côtoyer pendant une dizaine d'années !
Au début, en raison des événements encore récents de la Soufrière de Guadeloupe pour laquelle on vous avait sollicité, l'ambiance au laboratoire était un peu morose. Dans les années qui suivirent, l'atmosphère se détendit et une joyeuse équipe se retrouvait chaque jour pour discuter à l'heure du café. Vous aimiez évoquer les anecdotes surprenantes ou drôles des nombreux voyages que vous aviez faits, notamment pour accompagner vos étudiants sur le terrain. Ainsi, nous aviez-vous raconté avec un air malicieux que vous, qui mangiez de tout, aviez eu quelque réticence à goûter du singe... en raison des mains qui décoraient le plat!
Pour ma thèse, j'ai eu la chance d'obtenir le sujet qui m'intéressait le plus et, je crois, vous tenait aussi à coeur : la reconstitution à partir des documents de l'époque des événements ayant précédé l'éruption catastrophique du 8 mai 1902 de la Montagne Pelée. J'ai alors apprécié votre écoute, votre disponibilité et votre rigueur. Par la suite, nous avons entrepris la restructuration et la réécriture des résultats de cette recherche pour en tirer un livre. Pour éviter d'être dérangés durant cette tâche délicate, vous m'avez reçue, pendant plusieurs mois et à raison d'une ou deux séances par semaine, dans le bureau de votre maison à Antony. Cette étroite collaboration a été une expérience enrichissante et surtout une belle preuve de confiance pour moi qui en manquait.
Après la parution de l'ouvrage (La Montagne Pelée se réveille, aux éditions Boubée), j'ai pris l'habitude de vous adresser mes voeux de nouvel an auxquels vous répondiez fidèlement. Vous vous êtes réjoui des événements heureux — professionnels, personnels ou liés à ma passion pour le phénomène volcanique — qui m'arrivaient. J'ai été attristée de constater que la retraite, même si elle vous permettait de vous livrer à d'autres activités, vous privait du sacerdoce de l'enseignement et de la recherche dont vous vous étiez acquitté avec passion tout au long de votre vie. Ces dernières années, j'ai été moins disponible pour vous écrire régulièrement. Ayant manqué l'occasion au début 2010, je pensais me rattraper en avril et vous envoyer une carte de Martinique pour vous annoncer que j'étais enfin montée en haut de la Pelée ! Mais le destin en a décidé autrement...
Avant de vous laisser reposer, j'aimerais vous remercier pour tout ce que vous m'avez apporté, qui m'a aidée à me construire et me permet aujourd'hui d'être ce que je suis.